La psychanalyse française contemporaine et l’héritage scientifique de Serge Lebovici
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La psychanalyse française contemporaine et l’héritage scientifique de Serge Lebovici

Symposium Franco-Russe, Paris – 22-29 octobre 2006. Jubilé des dix ans de colloques psychanalytiques franco-russes, plusieurs fois présidés par le Pr Serge Lebovici, ancien Président de l’Association Psychanalytique Internationale.

On peut dire que ce colloque fut différent d’autres rencontres scientifiques parce qu’il a réalisé un harmonieux alliage entre une partie clinique dense et de haut niveau d’élaboration lors du colloque proprement dit et une partie littéraire toute aussi riche concernant poètes et littérateurs ayant vécu à Moscou surtout au XIXème siècle, que furent Pouchkine, Tchekov, Tolstoï, chacun d’eux posant des problèmes d’enfance et de filiation.

La première partie s’est déroulée à la  » Maison des savants « , luxueux hôtel particulier dans un beau quartier de Moscou riche en immeubles du XVIIIe et du XIXe siècle. L’exposé du Dr Benhamou a précisé l’influence de Serge Lebovici sur la psychiatrie russe, en particulier, « dans sa dernière mission en octobre 1997 sur le thème des états-limites où il complétait et dépassait la démarche psychiatrique par l’éclairage psychanalytique, développant son concept de « mandat transgénérationnel ». Serge Lebovici avait le talent de pouvoir facilement articuler la théorie psychanalytique sur la pratique, à l’aide de vignettes cliniques toujours promptes à lui venir en mémoire ». Le Dr Victoria Potapova exprima aussi avec chaleur et reconnaissance l’apport de Serge Lebovici aussi bien en psychanalyse de l’enfant et l’adolescent qu’en psychanalyse de l’adulte.

Deux conférences suivirent ensuite : celle d’Henri Vermorel sur les théories contemporaines de la sexualité infantile et celle de René Roussillon, qui a su transmettre à l’auditoire ce qui fut la préoccupation de Serge Lebovici les dix dernières années de sa vie : l’importance de la clinique des bébés. Roussillon a développé ce thème et a remarquablement montré l’apport de la clinique du bébé à la séance d’une psychanalyse d’adulte. Dans sa conférence très claire et documentée, Françoise Moggio a repris plusieurs textes de Serge Lebovici pour préciser sa notion d’interaction fantasmatique en l’articulant avec la théorie psychanalytique sur les fantasmes de l’enfant. La suite des interventions concerna la distinction apportée par S. Lebovici entre le concept de névrose infantile et la névrose de l’enfant, la névrose infantile étant conçue comme un modèle dont la conflictualité inconsciente est revécue dans la situation quasi expérimentale de l’analyse d’adulte. Françoise Clobence a très clairement présenté le point de vue d’une psychanalyste d’adulte utilisant de façon fructueuse le concept de névrose infantile dans ses rapports avec la névrose de transfert. En psychanalyse de l’enfant, la notion de névrose, comme l’a expliqué Benhamou n’est pas dépourvue d’ambiguïté, et il peut y avoir chez l’enfant des troubles névrotiques francs et non pas seulement ceux correspondant aux avatars du développement. Le cas clinique qu’il a brillamment exposé a suscité de nombreuses questions de la part de l’assistance.

La matinée du lendemain a débuté par l’élégante conférence de Marie-Françoise Castarède sur « la musique et le langage des bébés « . Ses compétences de psychanalyste et de musicienne ont singularisé son exposé qui a notamment évoqué la grande influence de la musique dans la vie et l’oeuvre de S. Lebovici. Grâce à un travail de recherche dans les anciens dossiers de patients vus par S. Lebovici, Annette Fréjaville a bien développé la façon dont Lebovici concevait la technique des consultations thérapeutiques. Colette Chiland a enfin décrit avec talent l’oeuvre non écrite de S. Lebovici et la discussion qui s’en est suivie a été très riche en interventions scientifiques et émotionnelles. L’après-midi a été réservée à l’adolescent et à son traitement par le psychodrame psychanalytique. Il y eut une conférence de Jean-Francois Rabain intitulée « Le psychodrame psychanalytique de Serge Lebovici », où il a retracé l’historique du psychodrame. Lebovici étant en effet l’inventeur du psychodrame psychanalytique. On a montré en vidéo une séquence de psychodrame, filmé dans la jeunesse de Lebovici où on le voit à l’oeuvre avec René Diatkine et Monique Cournut dans un jeu psychodramatique. Les commentaires de J.-F. Rabain et Alain Gibeault ont bien montré comment le jeu était à l’époque (1970) assez différent de ce qui se pratique actuellement. Avant d’introduire la partie culturelle du congrès, il ne faut pas laisser de côté deux brefs concerts de musique classique ponctuant les journées de travail et l’audition au Bolchoi de l’opéra Eugène Onéguine que Lebovici, mélomane et amateur d’opéra, autant des oeuvres de Pouchkine que de la musique de Tchaïkovski, n’aurait pas désavoué -il aurait même discuté, comme l’assistance, la place que le metteur en scène avait laissée à Tatiana. La partie culturelle fut surtout littéraire, même si elle comprenait la visite de monastères célèbres. Mais l’accent a été mis surtout sur la vie des poètes du XIXe siècle et les vicissitudes de leur enfance.

Ce furent donc des flâneries dans les domaines autour de Moscou, pour Pouchkine le domaine de Zakharovo, où il vivait enfant avec sa célèbre Niania. Le guide déclamait même de nombreux vers des poèmes d’Alexandre Pouchkine qui aimait se rendre dans les domaines de ses voisins, fréquentés aussi par Gogol, où, dans l’un d’eux, Madame Golitsyne fut l’inspiratrice du personnage de la Dame de Pique. Les interrogations du groupe essayaient de cerner les motivations suicidaires de Pouchkine qui, comme l’on sait, s’est laissé tuer dans son duel avec d’Anthes. Le groupe a visité aussi le domaine de Melikov où vécut Anton Tchékov. On y a pieusement conservé son bureau (avec une photo de Tchaïkovski ), bureau dans lequel il donnait des consultations médicales aux paysans. La visite continua à Yasnaya Poliana, à côté de Tula, où se trouve le domaine de Léon Tolstoï. Il y a élevé ses onze enfants et s’en est enfui après l’âge de quatre-vingts ans en conflit avec sa femme, qu’il avait déshéritée de toute son oeuvre littéraire, puis est mort dans une petite gare proche de ce domaine. Il fut enterré dans son parc, suivant ses ordres, sans le moindre artifice religieux, et à l’endroit où, dans son enfance, il pensait que se trouvait le bâton vert magique qui pouvait apporter le bonheur au monde. Les maisons-musée de Pouchkine, Tchekhov et Tolstoï à Moscou gardent avec piété les atmosphères de leur époque, contenant des objets et des meubles leur ayant appartenu. Ces visites passionnantes furent associées aux visites des monastères rendus au culte, celui de Sergei Possad, non loin du domaine d’Abramtsevo, berceau des Peintres Ambulants, celui de Storojewski, proche de l’église ayant appartenu à Boris Godounov, et le couvent de Novoditchi, avec le cimetière, où se trouvent des tombes d’hommes célèbres, dont Tchékhov, mais aussi celles, souvent spectaculaires, de notables soviétiques.

Avant de terminer ce voyage à travers le passé littéraire de la Russie, il faut faire un retour à la psychanalyse avec la visite du Centre médico-psychologique de Stroguino, situé dans un quartier populaire de Moscou, dans un immeuble modeste, du style de ceux de la banlieue parisienne. Il est dirigé par une jeune équipe très motivée et sûre d’elle-même, puisqu’elle témoigne de son rôle de pionnier en Russie dans le traitement psychanalytique des jeunes enfants. Voici un exemple de leur travail original : des enfants de moins de six ans sont ensemble dans une pièce avec des objets et des jouets et deux ou trois soignants, tandis que leurs parents sont dans une autre pièce avec une autre équipe de soignants. Après un temps de séance, tout le monde est réuni : parents, enfants et soignants ; peuvent ainsi se renouer et s’élaborer les liens distendus ou détruits. Ceci rappelle peut-être les premiers jardins d’enfants qui avaient débuté avant la révolution de 1917. Mais il est certain que c’est l’esprit de Serge Lebovici qui règne là.