L’arrêt rendu par la Cour de Cassation en novembre 2000 a fait déjà couler beaucoup d’encre. Mais a-t-il été bien lu ?
Statuant sur la demande de réparation d’un enfant souffrant d’un handicap dont l’origine remonte à la vie intra utérine et qui aurait pu être évité si une faute de diagnostic n’avait privé la mère de la possibilité d’avorter, l’arrêt Perruche rappelle clairement que « la naissance n’est pas en tant que telle génératrice d’un préjudice de nature à ouvrir un droit à réparation ». Il réaffirme aussi le principe du droit de la responsabilité selon lequel il y a obligation de réparer le préjudice causé à autrui par une faute, et considère l’enfant en gestation comme un tiers impliqué dans la relation contractuelle entre le patient et son médecin.
L’arrêt Perruche pose toutefois de réels problèmes moraux. L’un des plus importants a trait au refus de considérer le handicap comme inhérent à la personne. La Cour refuse en effet de tenir compte du fait que le seul moyen d’éviter le handicap était de renoncer à l’existence biologique. Une telle dissociation entre le handicap et la personne, tout à fait admissible pour le droit car celui-ci ne raisonne pas sur des réalités biologiques, engage malgré tout une philosophie contre-intuitive de l’identité personnelle. Le fait de dissocier l’identité biologique de l’enfant (qui est né avec le handicap) de l’identité personnelle du même enfant, lequel ne devait pas naître handicapé (selon le projet des parents, et sans tenir compte du fait qu’il ne serait alors pas né du tout), entraîne de sérieux problèmes moraux : le projet parental est-il si déterminant de l’identité de l’enfant ? si la dignité de la personne se rapporte surtout à l’identité personnelle, n’est-ce pas l’identité biologique qui lui donne son référent singulier ? n’est-il pas risqué, dans le raisonnement moral, de trop s’éloigner des intuitions commun.