« La sagesse éternelle drapée dans le mythe immémorial conseille au vieil homme de renoncer à l’amour, de choisir la mort, de se familiariser avec la nécessité de mourir. »
En matière d’amour fou, quelle que soit la diversité des mises en scène, il y a des figures imposées : passion ravageuse ; feu d’artifice de sentiments extrêmes ; effraction transgressive de la raison individuelle, sociale, politique ; attaques du principe de réalité au profit du plaisir d’une union sacrée, etc. Il y a aussi peu ou prou dans notre culture un archétype puissant en ce domaine : l’amour fou s’empare de deux êtres humains issus de deux lignées distinctes qui aspirent ardemment à ne faire qu’un. Roméo appartient à la maison des Montaigu. Juliette appartient à la maison des Capulet.
Mon propos est de tenter de mettre en exergue combien la fausse évidence de cet archétype est déjà une stratégie défensive contre le désir incestueux et, plus précisément, une tentative d’aménagement du fantasme de retour dans le ventre maternel. Dans cette direction, je vais explorer l’hypothèse suivante : la matrice archaïque de l’amour fou, la souche fondamentale de son hubris, c’est l’attraction pour la maison primitive, Heimat. Et, dans cette perspective, « les trois relations à la femme que l’homme ne saurait éviter : la génitrice, la compagne et la corruptrice » évoquées par Freud en 1913 dans Le motif du choix des coffrets, ne seraient alors que des déclinaisons successives de ce désir primordial de retour dans le ventre maternel. Ou mieux, là où se déroulerait le premier chapitre utérin de la biographie humaine, l’homme et la femme aspireraient fantasmatiquement à y faire retour avec, successivement, la…