Michel Soulé a d’abord été pédiatre puis psychiatre, et m’a souvent raconté la réaction de sa mère quand il lui a annoncé son choix de devenir pédopsychiatre. Il avait obéi à l’injonction de son père, de faire d’abord mathématiques élémentaires et mathématiques supérieures avant de se destiner à la médecine, puis à la pédopsychiatrie. « Mais qu’est-ce que je t’ai donc fait mon pauvre petit ? » lui aurait-elle dit, pourtant, en apprenant sa décision, et ce souvenir a souvent été, pour Michel Soulé, un moyen de faire sentir aux plus jeunes l’ambivalence envers les adultes qui peut se cacher au cœur même des racines de nos vocations. S’occuper des enfants des autres, tout un programme, disait-il souvent !
De 1955 à 1980, il a dirigé la consultation de psychiatrie infan-tile à l’hôpital Saint-Vincent de Paul. C’est là qu’il a débuté son travail avec l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance) en allant, notamment, visiter les enfants placés en province par le biais des agences. C’est là que s’est développé son extraordinaire travail avec Léon Kreisler sur la psychosomatique du premier âge, travail dont témoigne, encore et toujours, le livre L’enfant et son corps.
Il a ensuite créé en 1965 et dirigé jusqu’à la fin de sa vie active, le Centre de Guidance infantile de l’I.P.P. (Institut de Puériculture de Paris), centre exemplaire à bien des égards, entièrement dédié à la clinique précoce et à la question de la prévention. Il y a été un véritable pionnier de la psychiatrie du bébé. A l’époque de mes études, quand on voulait devenir psychiatre d’enfants, on commençait par aller dans des services de psychiatries d’adultes, puis d’adolescents, et ensuite d’enfants. C’est là qu’on m’a dit que je devrais aller voir Michel Soulé et ce qu’il en était de la psychiatrie du bébé, et quand je l’ai rencontré, il m’a dit qu’il y avait aussi le fœtus, et puis que viendrait peut-être, ensuite, le temps de la psychiatrie des gamètes, avec d’ores et déjà, disait-il, la sacralisation des gamètes au sein des techniques d’AMP (Assistance Médicale à la Procréation) ! Et de fait, il avait étudié les enjeux psychologiques et psychopathologiques de l’AMP en compagnie du fondateur des CECOS (Centres d’Etude et de Conservation des Œufs et du Sperme), en France, soit le Pr Georges David qui l’a profon-dément admiré. Je ne sais certes pas ce qu’il adviendra de la psychiatrie des gamètes, mais l’idée de ce chemin antidromique allant de l’adulte jusqu’aux gamètes, chemin parallèle à celui de la cure psychanalytique elle-même qui remonte peu à peu vers les âges les plus précoces, témoignait bien, me semble-t-il, de sa passion pour la psychanalyse, passion qui ne s’est jamais démentie, quel que soit le con-texte socioculturel à ce propos.
Au-dessus de la guidance infantile, à l’IPP, il a créé en 1970 un hôpital de jour tout à fait pilote et innovant pour la prise en charge précoce des jeunes enfants autistes. Après Didier Houzel et Fabienne Castagnier notamment, il m’a fait l’honneur de me confier la direction de cet hôpital de jour de 1983 à 1993, mission qui a été l’une des plus formatrices de ma trajectoire personnelle.
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Sous son égide, l’IPP était devenu un centre pilote, de réputation nationale et internationale. Il y a noué des liens avec des pédiatres prestigieux tels que Pierre Satge, Jacques Charlas, Roger Salbreux (fondateur du CAMSP de l’IPP), et Marcel Voyer, mais aussi avec les responsables de la PMI, et notamment avec Edith Thoueille avec laquelle il a conçu, assez récemment encore, ce SAPPH (Service d’Aide à la Parentalité pour les Personnes Handicapées) qui promet d’être un outil précieux et extrêmement innovant.
En 1985, il a été nommé Professeur de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, après de multiples péripéties qu’il a toujours racontées avec la malice et la facétie de son regard sur notre si curieux monde médical et universitaire… Une fois nommé professeur, il a alors activement contribué à la nomination de plusieurs de ses élèves, et ceci sans la moindre ambivalence à leur égard.
Il a créé l’association PHYMENTIN que j’ai maintenant l’honneur de présider, avec ses trois unités de soin et le COPES :
• l’EPI (Etablissement Psychothé-rapeutique Infantile) avec Martine Agman et Michel Desse puis Xavier Moyaplanaet main-tenant Olivier Ginoux ;
• l’USIS (Unité de Soin Intensif du Soir) avec Corinne Ehrenberg et Charles Foliot, et maintenant Philippe Metello ;
• le COFI (consultation filiation) avec Pierre Levy-Soussan, spécialiste de la filiation ;
• le COPES (Centre d’Ouverture Psychologique et Sociale), centre de formation qui lui importait tant comme lieu de formation des équipes de terrain, parallèlement à l’enseignement universitaire classique, Et puis aussi l’inven-tion, ni plus ni moins, de la psychiatrie fœtale en compagnie de François Sirol, de Marie-José Soubieux, et de Fernand Daffos notamment à l’IPP, sans oublier Sylvain Missonnier, son chaleu-reux complice dans le cadre du Premier chapitre du groupe francophone de la WAIMH (World Association of Infant Mental Health).
Mais il faudrait évoquer aussi les formidables « Journées scienti-fiques de la guidance », presque une quarantaine, dont chacun se souvient comme d’un espace absolument unique où la pensée s’organisait en jouant aux interfaces de la psychanalyse, de la psychiatrie, de la psychologie, mais aussi de la littérature, de l’histoire, de l’anthropologie, de l’art et de la science en général. C’est dans ce cadre que Michel Soulé a fait connaître en France des auteurs aussi fameux que Terry Brazelton, Bertrand Cramer, Daniel Stern et bien d’autres encore… Et c’est dans ce cadre qu’avec Marcel Rufo, nous formions une sorte de trio d’enfer, lui avec sa fureur clinique, moi avec ma rage théorique, et vous avec votre profondeur tranquille et fantaisiste à la fois.
Il faudrait dire un mot également de la WAIMH dont Michel Soulé a été l’un des fondateurs, et de son action si utile au sein du groupe francophone que j’ai fondé aux côtés de Serge Lebovici. Et de votre engagement dans l’association multimédia, A l’aube de la vie, avec un impressionnant coffret sur l‘échographie réalisé en compagnie d’Alain Casanova : l’échographie comme « IVF (Inter-rupteur Volontaire de Fantasmes), nous n’avons certes pas fini d’y penser …
Et puis il faut dire un mot aussi de la fondation de l’AEPEA (Asso-ciation Européenne de Psychopa-thologie de l’Enfant et de l’Adolescent) avec votre ami Pierre Ferrari et votre grande amie italienne Graziella Fava-Vizziello, AEPEA qui a joué un rôle important avec ses merveilleux colloques organisés dans tout le croissant baroque. Et puis de tous les travaux dans le champ de l’adoption comme membre du Conseil Supérieur de l’Adoption, et ceci en collaboration avec Janine Noël. Et puis du psycho-drame psychanalytique inventé avec vos amis du 13ème (E. Kes-temberg, S. Lebovici et R. Diatkine notamment) ainsi qu’avec D. Widlöcher, psychodrame où Michel Soulé faisait merveille !
Michel Soulé a été membre titulaire de la SPP (Société Psychanalytique de Paris), et ses articles et ses ouvrages sont résolument innombrables. La psychanalyse est demeurée pour lui, tout au long de sa vie, une référence essentielle, mais il a su nous transmettre une psychanalyse vivante et ouverte qui nous rend plus forts face aux terribles attaques que nous avons à affronter aujourd’hui. Michel Soulé n’était pas un théoricien austère et desséché. Sa théorisation passait toujours par la clinique, par la vie et par l’humour. De l’humour toujours, de l’ironie jamais !
Nous avions une relation très proche et infiniment complice. Il m'a tout appris : la pédopsychiatrie, la psychanalyse, l'institution, et donc l'humour dont je viens de parler. Venise, l'Italie, le fœtus, le bébé, l'autisme, l'adoption … tout nous a réunis, et il va me manquer, il va nous manquer terriblement. Ses travaux sur les clowns ont également beaucoup compté pour moi, et je crois qu’il était l'un des plus grands clowns qui soit, au sens noble du terme. Un clown non pas triste mais lucide sur la comédie humaine, si sombre et si gaie à la fois. Il savait parler des choses graves avec la plus grande légèreté.
Si la vie ne commence pas à la naissance, elle ne finit pas non plus avec la mort, et l’on est vivant tant que l’on existe dans la mémoire de ceux à qui l’on a transmis tant de choses, non seulement la vie, mais aussi la capacité même de transmettre (d’où l’importance de la fonction de grand-parent et d’arrière-grand-parent).