Je souhaite en préambule préciser que je vais me situer sur le terrain du témoignage et non pas vous présenter une réflexion aboutie et référencée théoriquement par les médiateurs familiaux et par l’Association Pour la Médiation Familiale. Ce thème particulier de la grossesse qu’il m’a été demandé de traiter a été l’occasion d’impulser une réflexion entre nous, médiateurs familiaux, réflexion que nous allons poursuivre, et je voulais vous en remercier… Je vais dans un premier temps élargir ma présentation, car je pense que la plupart d’entre vous ne connaît pas précisément le dispositif de la médiation familiale.
Institutionnellement, la médiation familiale s’inscrit aujourd’hui dans les dispositifs de soutien à la parentalité. Un protocole national de développement de la médiation familiale est signé par le Ministère chargé de la famille, la Chancellerie, la Caisse Nationale des Allocations Familiales et la Mutualité Sociale Agricole. Le médiateur familial est un professionnel diplômé d’état. Il exerce au sein d’associations ou en libéral, et il s’oblige à une analyse de la pratique et/ou à une supervision.
Je présenterai la médiation familiale comme un dispositif, structuré, pour que les parents puissent se rencontrer alors que le face à face est difficile : juxtaposer leur parole, entendre la réalité de l’autre, s’informer mutuellement et se concerter, et, pas à pas, se déterminer sur ce qu’ils désirent construire chacun et ensemble en tant que parents et convenir de décisions. Il s’agit d’une démarche volontaire, le consentement des personnes est vérifié. Le médiateur familial exerce lui aussi sa liberté de choix d’accompagner, ou de reconnaître ses limites et d’orienter vers des professionnels plus adaptés. Notamment, lorsque nous repérons (et nous y sommes particulièrement sensibilisés) des situations de violences conjugales avérées avec des phénomènes d’emprise, nous ne les traiterons pas en médiation familiale et nous orienterons les personnes vers les structures spécialisées.
Je vais illustrer mes propos par une vignette :
Stéphane et Lydie parents de 3 enfants : 11 ans, 8 ans et 13 mois sont venus me voir pour penser et organiser leur séparation, séparation à l’initiative de Stéphane. Ils ne sont pas dans le même tempo : Stéphane manifeste sa volonté d’avancer vite dans la séparation, alors que Lydie exprime le besoin de prendre le temps.
Deuxième entretien de médiation familiale : Lydie, la veille, a annoncé à Stéphane qu’elle est enceinte. Pour elle, il n’est pas envisageable d’interrompre cette grossesse. Au cours de l’entretien, Stéphane dit se sentir « piégé » par cette grossesse non désirée et qui va à l’encontre de sa décision d’avancer seul dans sa vie. Lydie ne répond pas à cela, et est dans l’expression d’une forte colère suite à l’annonce de la location d’un appartement par Stéphane.
Au cours des entretiens suivants, chacun utilise son moyen de pression : pour elle la maîtrise des enfants et pour lui le contrôle financier. Stéphane est dans une demande d’avoir des nouvelles des enfants qu’il voit très peu. Il aimerait disposer d’informations sur la grossesse, et il affirme qu’il accomplira son rôle et son devoir de père, mais Lydie a besoin, et l’exprime, de lui faire assumer les conséquences de sa décision de la rupture conjugale. Au cours de la médiation, nous avons envisagé les modalités de l’annonce aux enfants de l’arrivée du bébé et ils ont convenu d’aller tous les deux voir la psychologue des aînés, puis de voir ensemble les 3 enfants. Les entretiens se sont ensuite centrés sur l’organisation des week-ends et des vacances des trois enfants, avec une organisation particulière pour la plus jeune en réponse à la demande de la mère d’une mise en place progressive, Lydie invoquant les mauvaises nuits de sa fille au retour de chez son père. « C’est trop tôt, elle est trop petite… ». Stéphane a exprimé son besoin de reconnaissance de sa place de père et son sentiment de manque. Lydie a parlé de sa difficulté à se séparer de la plus jeune, de son besoin de « contrôle » des enfants et de son besoin d’exprimer sa rancœur …
Malgré les demandes de Stéphane, Lydie refusait de parler de la naissance, de lui faire part du sexe de l’enfant, et d’échanger sur le choix du prénom. Au 7ème entretien, un mois ½ avant la date prévue de l’accouchement, elle demande à ce que la séance porte sur ces sujets. Ils ont alors parlé de l’arrivée du bébé, envisagé l’organisation pour les 3 enfants … et ensuite évoqué l’avenir.
Nous sommes, pour rester centrés sur la thématique de cette journée (résidence alternée), dans un contexte de séparation conjugale : les bouleversements que vivent les parents (ou futurs parents) avec la rupture conjugale et la décohabitation entraînent sentiment de perte, d’abandon, angoisse… et génèrent de la souffrance, propre à chacun selon son implication dans le scénario de la séparation. A cela s’ajoute le conflit. Il est plus ou moins difficile d’envisager et de faire face à la transformation de leur parentalité. Nous sommes dans un mouvement paradoxal qui associe la séparation conjugale et envisage la construction d’une responsabilité partagée envers l’enfant. L’espace de médiation familiale accueille le choc de ces mouvements en tension. En proposant un cadre contenant, en présence d’un tiers, elle va favoriser la possibilité d’échanges libres et en sécurité.
L’intervention du médiateur familial va inciter à l’expression des émotions autour de leur histoire de couple et de leur séparation et à poser des mots sur leurs questions, leurs revendications, leurs colères, leurs peurs, leurs rancœurs. Cette expression émotionnelle et réflexive concourt à la maturation du conflit. Elle a un effet de libération, elle participe au besoin de reconnaissance mutuelle et favorise les processus d’intercompréhension. Ce cheminement au cours des entretiens facilite la confrontation de l’un et l’autre à la réalité de la séparation, au désinvestissement de ce couple-là, d’un idéal de famille, d’un idéal de parent … pour ensuite anticiper l’avenir.
Le médiateur familial va s’attacher à permettre aux parents de dissocier leur conflit personnel du rapport à l’enfant et de leurs responsabilités de parents. Son rôle est d’accompagner les parents à explorer leur conflit conjugal pour mieux le traverser, et à se recentrer sur le développement et le bien-être de l’enfant pour construire une coéducation. Il va donc travailler à partir du conflit exprimé par les parents et encourager le décodage des enjeux qui alimentent le conflit. L’objectif à atteindre étant avant tout d’ordre relationnel, avec la prise de conscience par les parents qui se séparent qu’ils ont à compter avec l’autre parent. Nous ne sommes ni dans l’illusion ni dans l’objectif que les conflits soient réglés, dissous et que leur expression disparaisse ; la médiation familiale n’est pas un mode de résolution des conflits, mais de leur maturation. Soutenus par le médiateur familial, les parents vont penser et envisager les conséquences et la mise en acte de leur séparation. Et celle-ci passe par l’organisation de l’accueil de l’enfant chez chacun, et les négociations sur les modalités de l’exercice de leurs responsabilités parentales.
La neutralité à laquelle s’attache le médiateur familial suppose de ne pas délivrer sa propre opinion ou appréciation, tout en s’impliquant dans le questionnement et la compréhension de ce qui est vécu par chacun et entre les personnes. Il s’agit bien d’une approche casuistique, avec la préoccupation de ne pas participer à une normalisation des solutions envisagées
Médiation familiale et résidence alternée :
La question de la résidence alternée, nous la rencontrons fréquemment en médiation familiale, avec ses interrogations et les positions autour de : stabilité de la relation / stabilité de lieu de vie. L’approche en médiation familiale va à l’encontre d’une démarche normative : les modalités de résidence de l’enfant ne peuvent être qu’une construction singulière des parents, une construction en coopération et en évolution. Il est important de décrypter les motivations du parent autour de sa demande de résidence alternée et donc de l’amener à exprimer ce qu’il y a derrière ses positions ou « revendications ». De fait, dès lors qu’il y a séparation des parents, l’enfant est appelé à partager son temps entre deux lieux de vie. L’alternance est inhérente à toute séparation (quelque soit le mode de résidence adopté), mais se pose la question du rythme et des modes d’alternance : comment adapter ce rythme en fonction des besoins de l’enfant ?
Au cours des entretiens, les parents vont échanger sur cette organisation du temps de vie de l’enfant avec chacun, dans la singularité de leur situation, en prenant en compte :
- Les besoins, les disponibilités, les contraintes de chaque parent ;
- Les besoins de l’enfant, la sensibilité de cet enfant-là, son développement.
Il s’agit d’un travail sur mesure, le médiateur incitant les parents à faire preuve de créativité. Le médiateur familial va inciter les parents à se tourner auprès des professionnels qui entourent l’enfant afin qu’ils puissent se faire leur propre appréciation, en échanger, et déterminer eux-mêmes, ensemble, les solutions qui conviennent à leur situation.
Cas particulier des situations de médiation familiale qui interviennent avant la naissance de l’enfant :
Nous recevons de plus en plus de jeunes couples séparés au cours de la grossesse d’un premier enfant, ou séparés juste avant d’avoir eu connaissance de la grossesse. Ce sont des situations particulièrement porteuses d’angoisse : au bouleversement de devenir parents, à l’incertitude et aux inconnues anxiogènes inhérentes à la grossesse, s’ajoutent l’insécurité liée à la décision de rupture conjugale et l’effondrement de son idéal ou projet familial. Cet événement de la séparation conjugale au cours de la grossesse est potentiellement traumatique et met à l’épreuve le processus de parentalité. Vous nous dites, professionnels de la périnatalité, combien les identifications projectives prénatales et l’anticipation de la naissance de l’enfant sont fondamentales dans le processus de parentalité. En médiation familiale, nous proposons à ces futurs parents en rupture de lien un espace de mise en relation qui pourra leur permette d’élaborer, pendant cette période d’attente de l’enfant, les fondements de leur processus de parentalité propre. Avec le médiateur familial, ces futurs parents vont pouvoir parler de la décision de mener ou non à terme cette grossesse et de ce que cette décision engendre comme tensions, souffrances, incompréhensions. Cette femme va porter et donner la vie conjuguée avec celui qu’elle souhaite faire disparaître de sa vie… Parfois il s’agira d’une décision unilatérale qui pourra l’amener, lui, à se sentir « piégé »… : ceci va pouvoir se dire.
De même, pourra être parlée la décision de reconnaître l’enfant, et celle d’assumer la fonction de père dans ses différentes dimensions : les motivations qui ont amené ce choix, et ce que celui-ci va impliquer. Cette mère va devoir « composer » avec ce père dont elle est en rupture, en elle, se joue l’ambivalence de désirer être parent seule, tout en souhaitant un père pour l’enfant ; et à laquelle s’ajoute souvent également une angoisse matérielle.
Le médiateur familial va encourager l’échange sur les rôles parentaux que chacun souhaite assumer et accompagner notamment la réflexion sur la place de père. Nous sommes souvent dans des situations déséquilibrées où la future mère apparaît dans le pouvoir et la maîtrise, et le futur père dans un sentiment de dépendance du bon vouloir de celle-ci (ce déséquilibre étant cependant souvent contrebalancé par un sentiment d’insécurité). Ce décalage temporel dans le niveau de conscience de chacun de sa parentalité n’est pas propre à ces situations, il est renforcé ici par la différence émotionnelle d’approche de la séparation, le dialogue parfois perturbé des futurs parents et par le décalage dans l’information autour de la grossesse. Ceci va être pris en compte à minima et parlé. Au cours des entretiens, ils vont échanger sur leurs représentations de la parentalité, sur leurs perceptions des besoins de leur enfant à venir, sur les désirs et les valeurs de chacun ainsi que sur leurs possibilités et besoins, à la fois psychiques et concrets. L’objectif pour ces couples séparés est de bâtir de nouvelles relations en tant que futurs parents en dépassant leur histoire et en retrouvant une confiance nécessaire.
Sana et Harry ….
Sana et Harry sont venus en médiation familiale alors que Sana était enceinte de 6 mois d’une petite fille ; et ils s’étaient quittés avant d’avoir connaissance de la grossesse.
Ils avaient pris la décision d’interrompre cette grossesse mais Sana avait changé finalement sa décision. Elle a formulé en médiation familiale qu’elle espérait encore qu’Harry reviendrait vers elle. Avec eux, nous avons essentiellement travaillé la « bonne présence » ou « bonne distance » qui leur convenait. Harry l’accompagnait aux échographies, mais Sana désirait qu’il s’informe d’avantage du suivi de la grossesse et qu’ils préparent ensemble l’arrivée matérielle du bébé, car elle craignait qu’il n’investisse pas la relation et décide de ne plus reconnaître leur fille. Harry a exprimé qu’il avait du mal à s’investir tant que la petite n’était pas là physiquement et également qu’il préférait garder ses distances, car il redoutait que Sana ne s’imagine un éventuel retour de sa part. La question du choix du prénom a été longuement débattue dans cette situation : Sana avait choisi un prénom qui ne convenait pas à Harry en raison de sa connotation musulmane ; or leur différence de religion était la cause du rejet de Harry par les parents de Sana et source de leurs difficultés de couple. Après la naissance, ils ont pu s’organiser pour que le bébé rencontre régulièrement son père, chez la mère au début, puis ensuite progressivement au domicile paternel.
Nous voyons dans cette vignette, comment le partage, voire l’intimité, généré par la grossesse, et la naissance sont des moments très délicats pour ces couples juste séparés et particulièrement difficiles quand l’un reste inscrit dans la poursuite de la relation de couple. D’où la nécessité d’un travail de clarification que nous allons les inciter à entamer. L’accompagnement par le futur père du suivi de la grossesse dans ces contextes de séparation, de tensions, de vulnérabilité (avec la question emblématique de la présence de celui-ci aux échographies) va pouvoir être mis en mots au regard de toutes les implications et attentes sous-jacentes de chacun : volonté par cette femme d’exclure cet homme qui lui a fait du mal, ou demande forte de son soutien. Pour ce futur père, revendication d’informations et d’implication avec l’inquiétude de la perte de l’enfant, ou bien impossibilité pour lui de se rapprocher de la mère. Et tout ceci souvent dans une grande ambivalence.
Nous savons bien que les peurs liées à l’incertitude de l’avenir s’apaisent lorsqu’il est possible d’anticiper et d’imaginer cet avenir. En médiation familiale cela se fera par le dialogue, en envisageant ensemble les différentes réponses possibles pour déterminer ce qu’il est envisageable, souhaitable, supportable, pour chacun des deux. Les modifications corporelles et psychiques, au cours de la grossesse, peuvent être rapportées et parlées dans les entretiens. Le suivi de la grossesse, l’accouchement, les premiers soins sont des sujets dont les futurs parents vont pouvoir débattre ensemble, avec ce qu’ils induisent comme conséquences et comme craintes pour l’un et l’autre ?
Le père sera-t-il présent à l’accouchement ? Après la naissance, des visites du père au domicile de la mère seront-elles possibles et dans quelles conditions ? Pour donner le bain ou le biberon ; seul ou en présence de la mère ? Comment vont-ils décider de l’utilisation de la tétine ? Puis pourront être envisagées les modalités pratiques et conditions selon lesquelles le père pourra accueillir l’enfant chez lui. Tout comme lorsque nous réfléchissons à l’organisation pour les très jeunes enfants, les parents pourront définir une progressivité : une heure, puis une sieste, puis une nuit, puis …
Stéphanie et Axel …
Stéphanie et Axel, sont venus en médiation familiale alors que leur petite fille avait 6 semaines. Tous les soirs, Axel était présent auprès du bébé chez Stéphanie, et cela devenait de plus en plus tendu entre eux, avec l’appréhension pour Stéphanie que la situation dégénère. Nous les avons amenés à travailler les modalités de mise en place du lien père-fille dans des conditions acceptables pour eux. Ils ont pu comprendre qu’ils entretenaient une concurrence, voire, qu’ils alimentaient leur conflit, autour du soin au bébé. Axel a pu dire comme il se percevait en permanence jugé par la mère qui se positionnait comme « sachant », et il a mis en avant son besoin d’être seul avec le bébé. Lorsque Axel a envisagé la possibilité de recevoir sa fille chez lui, nous les avons incités à échanger sur les garanties dont avait besoin Stéphanie pour être rassurée. Au bout des 4 mois de médiation familiale, après que l’enfant ait passé quelques demi-journées, puis journées chez Axel, les parents ont décidé que leur fille irait chez son père une nuit, un week-end sur deux, plus une nuit dans la semaine, une semaine sur deux.
L’approche pluridisciplinaire des médiateurs familiaux, au croisement du social, du juridique et du psychologique, favorise l’abord d’enjeux qui se jouent sur des scènes différentes. Il est important toutefois de souligner que les parents sont encouragés à aller s’informer, seuls ou ensemble, auprès des professionnels, dans la perspective d’une mise en échange de ces informations au cours des entretiens. Un médiateur familial ne travaille pas seul, il travaille en réseau avec les professionnels des secteurs éducatif et social, judiciaire et médico-psy. Il me semble que nous avons à nous apporter mutuellement, et j’espère que cette réflexion commune se poursuivra.par des échanges sur les pratiques et les conceptions.