Dans la famille de Justine, héroïne de « Grave », troublant film récemment sorti, tout le monde est vétérinaire et végétarien. À seize ans, elle est une adolescente surdouée sur le point d'intégrer l'école véto où sa sœur aînée est également élève. Mais, à peine installés, le bizutage commence pour les premières années. On force Justine à manger de la viande crue pour la première fois de sa vie ; les conséquences ne se font pas attendre, Justine découvrant alors des pulsions jusqu’ici cachées.
Certains films ont la valeur d’une épreuve et d’une révélation ; ce film mêlant l’horreur, le drame et la comédie n’est pas seulement un choc face à la crudité des images, il parle d’une famille dont un de ses membres est atteint d’un mal bien connu : à l’adolescence, on ne mord pas toujours la vie à pleine dents, on se sent plutôt dévoré de l’intérieur par des pulsions anarchiques, que les enfants connaissent bien avant de les transformer.
Ce chaos, ce désordre, dont on perçoit les effets dans le champ psychopathologique, nous rappelle nos origines, soit ce que Freud et Klein nous ont appris depuis un siècle : nous venons tous d’un amour cannibalique source d’un plaisir secret, entier, absolu, que nous tentons de contenir et de faire exister jour après jour. Cette forme si particulière de jouissance orale hors limite, que l’adolescence vient réactualiser de façon brûlante, n’est pas sans évoquer la proposition franche de Winnicott : sauf à nous dépersonnaliser ou à nous mélancoliser, la normalité psychique n’est pas un but en soi, au point que les personnes en bonne santé peuvent jouer avec la psychose ; « et nous sommes vraiment pauvres si nous ne sommes que sains », ajoute-t-il pour enfoncer le clou d’une vie psychique pulsionnelle dont l’assouvissement est un défi quotidien. Alors, pour ne pas oublier, souvenons-nous que l’heure est « Grave ».
Pr Florian Houssier
Vient de publier “Le sport à l’adolescence”
(In Press)