Sur un mince cristal l’hiver conduit leurs pas : Le précipice est sous la glace.
Telle est de vos plaisirs la légère surface. Glissez mortels, n’appuyez pas.
Georges Charles Roy —Les patineurs
L’opposition entre les sciences et les arts, les savants et les poètes, les neurosciences et la psychanalyse est une tension créatrice et non un antagonisme ou pire une antinomie. Nulle idée ici de lutter « bêtement » contre le progrès technique et d’idéaliser et vénérer une nature qui n’est ni bonne ni mauvaise, toujours peu ou prou sauvage, pulsionnelle… et il importe sûrement que l’abat-jour de la raison tempère sans étouffer la lumière de l’intelligence sensible.
Mais oui, l’art et la culture ont quelques mots à dire sur les excès d’une science hégémonique et étouffante qui aboutit à la déforestation de l’Amazonie, l’extraction forcenée des énergies fossiles, l’intoxication des mers par le plastique… Quels mots ? Ceux qui les qualifient le mieux, Éros et Beauté, synonymes ici de paix et justice. Et ceux de fugitivité ou d’éphémère destinée. Celui enfin de geste esthétique comme morale ou éthique libérés du mimétisme économique pour demeurer au plus près de l’écoute de la vie. Quelle morale ? La destruction nous rappelle à l’humilité de notre condition de mortel : Memento mori.
Fugitivité, ce joli mot est un néologisme inventé par Marie Bonaparte pour traduire le terme allemand Vergänglichkeit, titre d’un court essai de Freud. Les traducteurs pour l’édition française ont préféré le terme d’« éphémère destinée ». D’autres ont proposé celui, moins gracieux, plus laborieux, de « passagèreté », qui lui est inspiré d’un vers de Goethe¹ : « tout ce qui passe n’est que métaphore/parabole ». Cette fugitivité a été l’occasion pour Freud d’exprimer sa vision du monde, sa philosophie, ce qui porte la…