Tintoret : naissance d’un génie
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Tintoret : naissance d’un génie

Tintoret. Naissance d’un génie, Musée du Luxembourg, Jusqu’au 1er juillet 2018

Qu’est-ce qu’une œuvre ? C’est la question que l’on se pose en visitant l’exposition actuelle au Palais de Tokyo de deux artistes français contemporains, Kader Attia et Jean-Jacques Lebel, L’Un et l’Autre, jusqu’au 13 mai. Dans différe ntes « cabanes », les deux artistes présentent une installationd’objets hétéroclites, « énigmatiques et polysémiques que nous avons collectés ici ou là, des objets chargés d’esprits invisibles à l’œil nu, qui nous parlent à tous, nous transmettent des discours codés, et procèdent à des réparations
et des détournements ». Est-ce que la présentation d’objets collectionnés, complétée par un commentaire, fait œuvre ? Alors qu’on connaît par ailleurs les travaux intéressants de ces deux artistes, ici on rest e avec un doute. A partir de quand peut-on parler d’œuvre ?

C’est une autre exposition, un autre artiste, d’une autre époque, qui apporte une réponse,avec l’exposition du Musée du Luxembourg consacrée aux quinze premières années de la carrière du peintre vénitien Tintoret. On suit les étapes de ce parcours étonnant du « petit teinturier » – petit de taille, et petit de par son origine sociale – qui devient l’un des peintres les plus importants, non seulement de Venise, mais de l’histoire de la peinture.

Au cours de ces quinze années,  répondant aux demandes  des riches et puissants commanditaires, on voit Tintoret utiliser habilement des stratégies très astucieuses sur le plan social et commercial pour s’imposer comme artiste reconnu dans le milieu vénitien, mais on voit surtout ce peintre extrêmement doué, pratiquer tous les styles, afin de trouver le sien. Les conservateurs de l’exposition, suivant unetendance très actuelle, privilégient les conditions socio-économiques de la constitution de l’œuvre, vue comme une ascension sociale,  dans le contexte de Venise, où se multiplient des ateliers de peintres dont on dit qu’ils fonctionnent comme des PME. Mais, est-ce qu’il peint pour se faire une place dans la société ? Ou est-ce qu’il se fait une place dans la société pour pouvoir être un peintre ? Ce que l’on voit surtout, c’est comment le jeune artiste devient un immense peintre. Et cela apparaît très vite, dès ses œuvres de jeunesseexposées ici, qui présagent dessuperbes œuvres monumentales qu’il réalisera plus tard.

Dès la première salle, un tableau, Jésus au milieu des docteurs, ou La Disputa, accroc he le regard par les immenses corps dramatis és, la beauté des postures et l’expression des visages. Extrêmement ambitieux, se voulant l’égal de Titien, prenant comme modèle Michel-Ange qu’il admirait comme un maître, s’inspirant de la chapelle Sixtine, travailleur infatigable, Tintoret pratiquait toutes sortes d’expérimentations visuelles et techniques afin de perfectionner les aspects de son art, en particulier la représentation du corps humain qu’il étudiait au moyen d’observations minutieuses et de dissections de cadavres. Ce qui frappe surtout, et dès c e premier tableau, ce sont les compositions complexes qui créent des perspectives audacieuses, où les corps s’envolent, emportant le spectateur dans cet ascension qui l’aspire vers le haut, ou le laisse, tout petit, (rappelons que Tintoret était petit de taille…) tout en bas, l’obligeant à lever les yeux vers le ciel, vers ces personnages qui, tels les cygnes royaux quifaisaient l’admiration du Vilain Petit Canard d’Andersen, incitent à s’élever. A s’envoler, tel encore Peter Pan, autre héros de la littérature enfantine, crée par J.M. Barrie, qui était aussi un homme de petite taille…

La grandeur de Tintoret, il faut aller la voir évidemment à Venise, surtout à la Scuola Grande di San Rocco. C’est là qu’on retrouve l’aboutissement de ce parcours, dont l’exposition du Musée du Luxembourg ne montr e que les débuts, avec les chefs-d’œuvre de ce génie de la peinture italienne, lui qui n’a jamais quitté Venise et n’est jamais allé à Rome ou à Florence.