Après L. Kanner, la place donnée à l’autisme infantile a beaucoup varié, tantôt le terme a été utilisé de façon extensive, venant recouvrir les autres psychoses du jeune âge, tantôt il a représenté seulement une forme précoce, parmi d’autres -on verra que cette approche discriminative se justifie. Dans tous les cas, le pronostic est longtemps apparu très sombre ; encore en 1970, M. Rutter, dans une revue générale, relève, au terme de l’évolution, la fréquence et la gravité du retard mental, l’incapacité de relations interpersonnelles, les défauts d’adaptation sociale : au total, seulement 5% des cas accèdent à une activité professionnelle ; dans ce contexte, l’adolescence paraît abrasée dans ses expressions psychologiques, on y relève surtout la survenue fréquente d’une épilepsie et de rares manifestations délirantes ; M.K. De Myer et al. (1973), sur 120 cas suivis, réalisent un constat comparable : 2 % seulement parviennent à l’autonomie.
Par la suite, sont apparues des divergences profondes entre les travaux menés en référence aux conceptions du D.S.M.3 et ceux qui s’appuient sur des approches multidimensionnelles d’orientation dynamique.
• Avec le D.S.M.3, à partir de 1984, les constats péjoratifs persistent : C. Gillberg et S. Steffenburg (1987) comparent l’évolution de 23 autistes à 23 autres formes des troubles globaux du développement ; au terme du suivi pour l’ensemble des cas, ils relèvent seulement 4 % d’amélioration ; la puberté va de pair avec une aggravation sévère pour 60 % d’entre eux. Avec l’avènement du D.S.M.3.R (1987), des résultats plus favorables sont constatés mais dans une conception très extensive où l’autisme se démarque de la description de L. Kanner, de sorte que le diagnostic se trouve attribué à des cas qui, jusque là, n’étaient pas considérés comme des autismes (F. Volkmar (1992), C. Bursztejn et al. (1995)). Sous cette acception élargie, R. Kobayashi et al. en 1992 observent un accès à l’autonomie dans 30 % des cas ; l’influence de la puberté apparaît également avec une amélioration pour 42 % des cas, une aggravation pour 47 %.
Le D.S.M.4, en 1994, revient à une conception plus restrictive de l’autisme et retient d’autres formes cliniques parmi les Troubles Envahissants du Développement, en particulier le syndrome d’Asperger de meilleur pronostic ; T.K. Larsen et M.S.E. Mouridsen (1997) constatent dans ce groupe 87 % d’accès à une scolarité normale, la plupart des sujets deviennent autonomes, l’évolution vers la schizophrénie apparaît enfin dans un tiers des cas.
Dans ce courant de recherches, les points suivants méritent encore d’être soulignés :
- Avec la notion d’un “défaut de la théorie de l’esprit” (U. Frith 1992, S. Baron-Cohen 1993), les modèles issus des sciences cognitives viennent renforcer encore les explications réductionnistes, au point de faire de l’autisme un handicap en rapport avec des déficiences innées. Dans les études longitudinales menées sous cet angle, il n’y a pas d’interrogation sur d’éventuels remaniements structuraux, qu’ils soient en rapport avec les actions entreprises ou avec l’adolescence ; ceci est illustré par une étude de A. Venter et al. (1992) portant sur 58 enfants, tous de Q.I. supérieur à 60 : l’évolution témoigne du meilleur pronostic attaché à ces formes d’autisme de haut niveau qui sont ici suivis, exclusivement, sur des critères d’adaptation sociale.
- Aujourd’hui, les théories neuro-développementales de la schizophrénie, prolongent ces orientations en invoquant des atteintes cérébrales survenues durant la grossesse ou la période périnatale chez des sujets souvent prédisposés génétiquement. Le processus neuroanatomique évoluerait au long cours avant que la décompensation ne se produise à l’adolescence ou à l’âge adulte, dans des circonstances où le rôle de l’environnement est envisagé, exclusivement, à travers des stress cognitifs ou psychosociaux. Des “manifestations pré-morbides”, décrites au cours de l’enfance, apparaissent d’ordinaire discrètes et peu spécifiques ; néanmoins, se trouve posée la question d’un lien unissant l’autisme ou les autres formes des Troubles Envahissants du Développement avec une schizophrénie de survenue ultérieure. Dans l’abord de ce problème, de nouvelles organisations ont été individualisées : les multidimensionnaly impaired syndromes (M.D.I.) (K. MacKenna et al. 1994), les multiplex developmental disorders (M.D.D.) (DJ. Cohen et al. 1994). Ces formes sont plus accessibles à la thérapeutique mais l’évolution vers la schizophrénie y apparaît relativement fréquente. Les similitudes entre les M.C.D.D. et les dysharmonies psychotiques des auteurs français (R. Misès, 1967) ont été mises en valeur (S. Tordjman et al. 1997).
• A l’opposé des précédentes, les approches multidimensionnelles d’orientation dynamique écartent les explications étiologico-cliniques pour prendre en considération la diversité des facteurs en jeu dans les processus organisateurs de l’autisme et des psychoses précoces. En même temps, la priorité est donnée à une évaluation clinique et psychopathologique qui vise à une approche compréhensive du fonctionnement mental et des mécanismes défensifs, ceci dans une saisie élargie permettant de relier entre elles les composantes intra-psychiques, et inter-subjectives. Les éclairages menés sous cette perspective dynamique, structurale et évolutive peuvent s’articuler avec d’autres approches appuyées par des modèles neuropsychologiques ou cognitifs.
Sous ces orientations, avec la Classification Française des Troubles Mentaux de l’Enfant et de l’Adolescent, la distinction est établie entre l’autisme, les psychoses déficitaires précoces, les dysharmonies psychotiques ; enfin, la présence de déficiences, d’incapacités, de désavantages sociaux, intriqués aux composantes spécifiques, justifie le recours conjoint à une classification des handicaps inspirée par les travaux de Ph. Wood (R. Misès, N. Quemada). A partir de cette approche élargie, des interventions multidimensionnelles en réseau articulent le soin, l’éducation, la pédagogie, l’aide sociale, le soutien à l’entourage familial, de façon à mobiliser les potentialités, présentes et émergentes, à différents niveaux.
Outre l’importante étude de J. Manzano (1982), notre recherche (R. Misès, R. Perron, 1993) fait apparaître des résultats intéressants : 58 % des cas sortent du cadre de l’autisme et des psychoses, les améliorations concernent tous les domaines, langage, efficience intellectuelle, autonomie sociale ; à l’entrée dans l’âge adulte, 58% sont parvenus à une insertion professionnelle, notamment en Centre d’Aide par le Travail, 11% sont pris dans un processus évolutif de type schizophrénique, 22% présentent une déficience dysharmonique avec persistance d’intéressantes capacités relationnelles, 9 % seulement relèvent d’une pathologie grave à dominante déficitaire.
Dans ce courant de recherche, on relève des éléments concordants :
- L’autisme apparaît d’une plus grande gravité que les autres formes précoces ; même en cas d’évolution favorable y persistent souvent des éléments d’étrangeté, sous-tendus par des stratégies autistiques. Les dysharmonies psychotiques bénéficient au contraire, dans la majorité des cas, d’une réintégration étendue ; mais le risque d’évolution vers la schizophrénie n’est pas rare (2 cas sur 11 dans notre étude).
- Une influence négative est reliée à l’inscription précoce d’un versant déficitaire accentué, sans que cela exclue cependant des progressions notables qu’on observe, en particulier, avec les psychoses déficitaires précoces.
- D’autres paramètres exercent des effets positifs : la précocité du diagnostic associée à la bonne coordination des moyens d’intervention, la continuité et la qualité du travail effectué auprès des parents.
Sous ces perspectives ouvertes, l’adolescence peut exercer des effets négatifs chez des sujets dont l’équilibre se trouve remis en question par des facteurs divers tenant à la structure préexistante, à la poussée pubertaire, à l’insuffisance des conditions d’étayage et de soin ; les mouvements péjoratifs entraînent tantôt une accentuation du processus déficitaire, tantôt des expériences dépressives, délirantes ou dissociatives. Cependant, l’attention se porte davantage, aujourd’hui, sur les changements positifs observés dans des cas où l’adolescence peut soutenir le processus curatif selon des modalités qu’éclairent bien les travaux émanant des équipes d’orientation psychanalytique (A. Crochette, P. Ferrari, R. Cahn, 1991, Ph. Jeammet, 1993, R. Misès, Ph. Grand, 1997). On insiste ici sur la réévaluation du cadre, sur le renforcement des actions de soin individualisées, sur le travail avec les parents dans une phase où ils se trouvent appelés à faire évoluer leur relation avec l’adolescent. Lorsque ces paramètres sont pris en compte, se dessine un mouvement où les risques de désorganisation, encourus dans cette période sensible, peuvent être contenus, à la fois par les étayages qu’assurent les intervenants et par l’émergence de nouveaux mécanismes défensifs ou adaptatifs. Dans le fonctionnement interne et dans les relations de l’adolescent se dessinent alors des modalités qui offrent de grandes similitudes avec celles que l’on rencontre dans les fonctionnements limites. C’est d’ailleurs par un glissement vers la catégorie nosographique des pathologies limites que se caractérisent d’abord les évolutions favorables. Par cette voie, l’adolescent en arrive encore à progresser en prenant appui sur des ouvertures de type névrotique qui lui donnent, dans les meilleurs cas, accès à une réintégration étendue. Pendant toute cette période, les sujets continuent certes à mettre en œuvre des défenses serrées et des modes d’échanges contraignants, mais s’amorce aussi, progressivement, une réparation des assises narcissiques et se dessinent des potentialités nouvelles qui aident à la liquidation des liens anaclitiques. Ces potentialités ne sont pas toutes exploitées immédiatement ; pour une part, elles se trouvent mises en latence, et, c’est en fin d’adolescence ou même à l’entrée dans l’âge adulte, qu’elles seront expérimentées, venant alors appuyer le mouvement d’autonomisation.
Avec l’entrée dans l’âge adulte, persistent donc encore des espoirs d’amélioration que diverses mesures s’efforcent de soutenir :
- Le cadre offert à ces sujets doit aider à l’utilisation des potentialités présentes ou émergentes en prenant en compte, à la fois, la dimension du soin et l’aide à apporter devant les déficiences, les incapacités et les désavantages sociaux, ceci dans une saisie élargie qui part des besoins du sujet pour se développer à travers différents supports, de manière à lutter comme l’immuabilité qu’entraîne une tendance profonde à la répétition. Une telle approche multidimensionnelle permet d’associer une suffisante formalisation des activités avec des perspectives dynamiques, de façon à maintenir la vie dans les dispositifs offerts à ces adultes.
- Une gamme étendue de solutions apparaît concevable pour l’accompagnement, le soin, les essais de mise au travail, avec une préférence pour les petites structures conviviales, à la fois différenciées et susceptibles de s’articuler entre elles, en maintenant l’écart entre l’hébergement et les espaces dévolus au travail ou aux activités.
- L’hôpital psychiatrique a été remis profondément en question en tant que lieu d’accueil pour des sujets ayant perdu toute espérance. Par contre, les dispositifs de soins spécialisés permettent aujourd’hui de répondre à des situations diversifiées, depuis les soins au long cours pour des malades très difficiles, jusqu’à des accueils de durée limitée à l’occasion d’une décompensation. Ces dispositifs gagnent à être articulés de façon fonctionnelle avec des lieux de vie ou des foyers d’hébergement, de manière à assurer une continuité du suivi.
- Pour la mise au travail, la même souplesse prévaut, à travers des expériences où la recherche d’une adaptation aux activités professionnelles représente assurément l’une des lignes directrices, mais sans imposer une contrainte rigide : il apparaît même essentiel de ne pas mettre en échec les capacités du sujet par des exigences excessives. On est donc conduit à soutenir la participation à des temps d’activités qui sont de signification variable, selon les instants, selon les personnes, et cela en s’appuyant sur la polyvalence des tâches proposées.
Sous ces éclairages, le travail, les actions éducatives et de loisirs et les soins entrent dans des interactions dialectiques, susceptibles d’offrir des supports exploitables sous différents angles, tout en garantissant, sous des formes variables, le maintien des liens avec la famille. Ces orientations prennent, aujourd’hui, appui sur l’avènement d’un authentique partenariat entre professionnels et parents, entre secteurs public et associatif (R. Misès et Ph. Grand, 1997, C. Bursztejn, 1997).