N’étant ni psychiatre ni psychanalyste, endossant donc ici le rôle du profane, je n’en suis pas moins concerné par un certain souci pour ce que les Anciens appelaient psukhè. Si, en effet, psychiatres et psychanalystes s’occupent du psychisme, ils croisent d’emblée dans les parages de la philosophie qui s’intéresse elle aussi à l’âme ou à la conscience : psukhè. Les premiers, médecins ou thérapeutes, traitent les âmes ; le philosophe commerce avec elle. Ils soignent, quand le second prétend faire venir ou revenir à la vie, fût-elle vie de la pensée – c’est le sens de la maïeutique socratique. La proximité n’exclut pas la distance, au contraire, elle la présuppose et cette distance peut – du moins faut-il l’espérer – éclairer différemment ce dont nous voulons parler : le rapport de la violence et du soin.
On contestera peut-être qu’un rapport puisse exister entre le soin qui, visant à restaurer un sujet atteint, à lui faire recouvrer autant que possible son intégrité, semble se situer du côté de la sollicitude, de l’attention à la souffrance d’autrui et la violence, la plupart du temps aveugle et sourde du moins au souci de l’autre. Pourtant, chacun le sait, la situation thérapeutique est par nature paradoxale, qui implique toujours l’éventualité d’une certaine violence exercée en vue du bien. Se résoudre à faire du mal pour le bien : tel est le paradoxe exprimé simplement et telle est au fond l’une des formulations possibles de la maxime du soignant. C’est vrai pour la chirurgie qui tranche les chairs ou ampute les membres, retire ou réduit les organes en vue du salut du patient opéré ou plus modestement de sa santé, voire parfois simplement de son bien-être. Ce n’est pas moins vrai, en certaines occasions, de la médication, en psychiatrie…