Et si la prison d’aujourd’hui, en ne jouant pas son rôle, rien que son rôle, mais tout son rôle, dans la démocratie, avait dans la vie quotidienne des citoyens beaucoup plus d’importance que nous ne le pensons ?
Que ce soit au niveau de sa fonction organisatrice dans la représentation que se font concrètement les citoyens de ce qui peut arriver en cas de “dépassement” des limites socialement acceptées, et par ce biais dans la construction des racines du surmoi chez l’enfant des citoyens-parents.
Que ce soit au niveau du délinquant qui doit y trouver un moyen d’être retenu de continuer sur sa lancée délictueuse.
Que ce soit au niveau de sa valeur symbolique sur un prisonnier qui, ayant purgé sa peine, ne doit plus à ses victimes ni à la société rien d’autre que l’engagement moral de son changement de comportement lorsqu’il retrouve la liberté.
Que ce soit au niveau de ce qui résulte des premiers points, à savoir que la prison est bien sûr un lieu de privation de liberté pour celui qui en a mésusé, mais en attente d’une modification profonde du sujet qui y est incarcéré.
Dans ces conditions, et en appui sur un des principaux fondements d’une société civilisée, l’abolition de la peine de mort, la prison, par son existence même, est un lieu hautement symbolique puisqu’il représente le dépassement de la loi du talion : vous avez commis un crime ou un délit, la société ne commettra pas sur vous un acte de vengeance en miroir ; vous serez privé de liberté le temps nécessaire à un changement authentique. Mais une fois cette peine effectuée, vous serez libre à nouveau.
Mais voilà, la prison n’est pas ce lieu qui permet de passer de la loi du talion vers la loi symbolique, celle de la transcendance spécifiquement humaine. Elle est aujourd’hui un lieu qui est régi exactement par l’inverse, point par point, de cet idéal d’une société digne du nom de démocratique : œil pour œil, dent pour dent. La prison plutôt que d’élever le prisonnier vers la loi symbolique, le laisse croupir dans l’immanence de la loi du talion. Il n’est pas question pour moi de désigner telle ou telle catégorie de personnel pénitentiaire comme responsable de cette situation décriée depuis des années par de très nombreuses personnalités. Malgré les déclarations d’intention, les personnes qui ont le courage de travailler en prison ne sont pas soutenues par le tissu social qui se réjouit d’y voir envoyer ces indésirables qui lui pourrissent la vie de tous les jours. Non, le seul responsable, c’est moi, c’est nous, qui ne pensons pas acceptable l’idée que la prison doit devenir un lieu où nous devons mettre “le paquet” pour changer d’une façon humaine les hommes qui y sont condamnés.
La tâche est immense, et surtout du côté du citoyen qui n’ira jamais en prison : pourquoi devrions-nous mettre beaucoup de moyens pour des personnes que nous méprisons et qui doivent payer pour les malheurs qu’elles ont occasionnés, quand à côté de celles-ci, il y en a d’autres qui sont victimes de la misère, du chômage ou de la clochardisation ? Il me semble qu’aujourd’hui, un pas de plus est franchi : inventer en 2008 une prison après la prison, sous le faux prétexte de la dangerosité, est un triste retour de l’internement arbitraire et même de la lettre de cachet. Qui n’a pas envie de protéger les enfants des séductions des pédophiles ou quiconque d’une violence meurtrière ? Mais le faire de cette manière est abject, tant ce comportement primitif, la peine sans limite de temps, indique une reculade dans l’élaboration d’une pensée de la démocratie qui prenne en compte tous les aspects qui la font grandir.
La prison doit devenir le lieu le plus moral de la société, condition indispensable à la fois pour que ceux qui y travaillent puissent exercer leur mission, et pour que sa représentation ait la vertu pédagogique de dissuasion nécessaire à son efficacité. Si telle était sa réputation, point ne serait besoin de prévoir des structures de “justice-santé” pour y “garder” sans limite des personnes que la prison à laquelle ils ont été condamnés n’a pas changé, avouant ainsi de la plus éclatante manière qu’elle ne sert strictement à rien d’autre qu’à augmenter chez ceux qui y passent le désir de vengeance, résultat aux antipodes de ce qui en est attendu. Il est temps de dire enfin non seulement à tous les politiques qui veulent vraiment changer la vie de leurs électeurs, mais aussi à tous nos concitoyens qui ne savent plus comment sortir de l’engrenage de la violence insensée que nous traversons désormais, que l’une des principales possibilités sur laquelle nous pourrions agir est de miser sur la refonte du concept de prison en postulant la qualité humaine à laquelle elle doit maintenant parvenir. Il ne s’agit en aucune manière d’un luxe de philanthrope, il en va de l’avenir de nos sociétés contemporaines.