Croire ou ne pas croire
Éditorial

Croire ou ne pas croire

Face aux incertitudes, aux messages contradictoires, à la quête de savoir, à l’autorité médiatique des « experts » qu’appelle en nous le contexte actuel, comment associer sur ce que notre pratique quotidienne soulève ? Ne sommes-nous pas dans des questions sociétales identiques que notre pratique individuelle expérimente chaque jour ? Ne sommes-nous pas dans un monde d’incertitude, de messages contradictoires, de quêtes de savoir de nos patients et de nous-mêmes ? Dommage que dans le comité des « sachants »  sur l’épidémie que nous traversons, personne n’ait pensé à l’expérience des psychanalystes.

William James, le célèbre psychologue et philosophe du XIXe siècle, un des fondateurs du pragmatisme, influençant la philosophie analytique s’était opposé à William Clifford, mathématicien britannique de la même époque qui avait écrit : « Il est mauvais dans tous les cas de croire sur des éléments de preuve insuffisants ; et là où c’est de la présomption de douter et de chercher, c’est pire que de la présomption de croire ».

La théorie de la signification constituait le cœur du pragmatisme de James. Pour lui, il était inutile et vain de tenter de se focaliser sur des définitions abstraites. Pour comprendre un fait et son énoncé, il faut en étudier les conséquences, les soumettre à l'expérience pour tester leur vérité, prise au sens d'adéquation à la réalité. Cela ne concerne-t-il pas là aussi notre pratique quotidienne de l’écoute, celle de l’autre et celle de nous-mêmes écoutant ? On pourrait simplement compléter « réalité » par « réalité psychique » qui nous intéresse au plus haut point.

On pourrait nous objecter que notre croyance relève plus de la croyance religieuse que de la croyance scientifique telle que Clifford la défend. Que notre croyance repose sur une autorité plus « morale » qu’objective. Mais notre pratique se doit de démystifier notre autorité en la transformant en une relation transférentielle et contre-transférentielle. Notre pratique repose sur ce que Julia Kristeva a particulièrement bien traduit, en nous invitant à une réflexion sur notre « incroyable besoin de croire », qu’il s’agisse de nos patients, de nous-mêmes les écoutant et de la société confrontée aux énigmes de l’incertitude.

Alain Braconnier