Comme un idéal vers lequel, jusqu’à la fin, l’être n’en finit pas de tendre. Ce dont voudraient témoigner ces quelques lignes, où tous les amis et proches, qui l’ont connue mieux que moi, reconnaîtront la marque de ce parcours convaincu et exigeant que fut la vie de Janine Chasseguet-Smirgel. Et ce sera pour évoquer les échanges que nous valut, à quelques uns, la préparation de cette journée du 25 Février 2006, en hommage à Béla Grunberger, où sa vigueur intérieure semblait nous dire que jusqu’à la dernière minute, la vie n’est autre que projet. Lucide sur le temps qui lui était compté, secrètement inquiète d’être devancée par l’implacable force dont elle avait deviné la fatale obstination : (…) » Elle ne fauche pas. Elle n’éclate pas. Elle frappe silencieusement au ras du sang, au ras du coeur « … (Aimé Césaire, Les armes miraculeuses). Elle aurait compris toute la dureté du poème, qu’elle connaissait peut-être. Seulement soucieuse de ce dernier message sur ce que devait la psychanalyse à la pensée de Béla Grunberger. Sans rien évoquer de ce que, dans le droit fil de son inspiration, elle sut poursuivre à sa façon, dans une oeuvre personnelle. Si ce n’est, ce jour-là, pour prendre toute sa part de ce qu’ils avaient écrit ensemble, sans souci de plaire à tous, et pour que rien ne s’émousse du tranchant de leur conviction. Ce fut l’ultime intervention de la collègue que nous avions si souvent entendue. Sa voix à peine affaiblie, soutenue par la seule pensée, semblait nous prendre à témoin qu’elle garderait vaillamment la maîtrise de sa propre fin. Et de même qu’aucune faiblesse ne porta atteinte, tout au long de cette journée, à son élégance, sa courtoisie, et bien sûr à cette profonde et chaleureuse atmosphère d’amitié qui, autour d’elle, et par elle, gagna silencieusement notre sympathique assemblée. Et puis quelques jours encore, des coups de fil aux uns et aux autres, les amis des dernières heures auprès d’elle : « Rends- toi, mon coeur. Nous avons assez lutté. » (Henri Michaux, Ecuador) .
Pour Janine Chasseguet-Smirgel, qui avait si bien écrit sur l’émotion esthétique et l’économie de moyens qui en fait la richesse, la poésie s’éleva au-dessus de la fragilité comme une invincible et inaltérable présence.