L’application stricte de la technique psychanalytique, associée à une capacité de rêverie hors du commun, a permis à Frances Tustin de découvrir la nature du fantasme inconscient qui se trouve au centre de l’organisation d’un fonctionnement autistique : le fantasme d’une discontinuité infranchissable entre soi et l’objet, représenté par le « bouton cassé » de son petit patient John, et par les vécus d’arrachement persécuteur que tous les enfants autistes mettent en scène dans leur psychothérapie. Tustin a résumé ses découvertes dans la description d’une discontinuité bouche-langue-mamelon-sein et dans le concept d’une « naissance psychique prématurée », c’est-à-dire la nécessité pour l’enfant d’affronter, à un moment de son développement où il n’a pas encore les capacités psychiques de la symboliser, la prise de conscience de sa séparation corporelle d’avec son objet, le sein maternel.
En commençant cet exposé2, c’est à Frances Tustin que je pense et à qui je voudrais rendre hommage. Je sais qu’elle a dû elle-même affronter et surmonter de terribles angoisses pour réussir à clarifier ce niveau profond de l’expérience humaine où le soi émerge de sa confusion avec l’objet et où l’identité de base commence à se constituer. Dans un interview émouvant, elle m’avait confié certains jalons du parcours de son existence, mais aussi de son analyse avec W. R. Bion et de sa découverte du fantasme qui gît au cœur de la pathologie autistique. La convergence était frappante entre ces trois parcours et c’est de cette convergence que paraissait jaillir la lumière. Comme toute découverte psychanalytique, la sienne s’était faite dans un va-et-vient entre sa propre analyse et son travail de psychothérapeute. Cette démarche courageuse, qu’elle a longtemps menée dans un relatif isolement, reste pour moi la source principale de la compréhension profonde de l’autisme et de l’aide psychothérapeutique que nous…