Le 27 janvier, Anne Maupas, psychanalyste membre de la SPP et de l'IPSO est venue présenter, dans le cadre des Conférences d'introduction à la psychanalyse de la SPP, le concept de « censure de l'amante ». M. Fain est l'auteur de ce concept qu'il a élaboré dans son article Prélude à la vie fantasmatique et dans son œuvre commune avec Denise Braunschweig.
C'est l'endormissement du bébé insomniaque qui sert de pivot à sa conception de la censure. Afin d'illustrer comment ce concept, vivant, continue de germer dans le cadre de son travail d'analyste d'enfant, A. Maupas nous invite, généreusement, à la suivre au cœur d'une thérapie conjointe menée à l'IPSO.
Des parents consultent pour leur jeune enfant qui présente des troubles importants du sommeil et de l'endormissement auxquels sont associés des hurlements. D'emblée le cadre met en scène une triangulation ; la mère et/ou le père, l'enfant et le psychanalyste et révèle la problématique de la discontinuité. Derrière les difficultés de séparation bruyantes qui surviennent dans ces alternances jours/nuits, se cache le vécu de désinvestissement brutal de l’enfant par sa mère qui est totalement préoccupée par une deuxième grossesse.
En suivant l'idée de M. Fain que « le seul moyen légal qu'à la mère pour se débarrasser de son enfant c'est de l'endormir », A. Maupas ouvre la question : comment fournir aux mères un moyen légal d'endormir leur enfant ?
Dès la première séance, cet enfant de 18 mois qui se montre d’emblée très familier, ne manifeste pas d'angoisse phobique devant la psychanalyste, ce qui interroge d'entrée tout clinicien de l'enfant.
Les premières fonctions instrumentales sont apparues très tôt chez cet enfant, qui présente un tableau de prématurité du Moi. Les parents le décrivent comme peu câlin, et n'ayant pas eu besoin d'avoir recours à un doudou ou à une tétine. Ils présentent un enfant autonome ayant des difficultés à accéder à une position passive. L'aire transitionnelle trop précaire ne permet pas un déplacement symbolique organisateur dans ses modalités de jeux, la réalité prend le dessus, l'enfant reste dans le comportement et joue avec son corps propre.
Si au départ il était impossible pour cet enfant de s'endormir, au fil des séances nous observons comment à partir de jeux de cache-cache, jeux où il faut dormir, naît chez lui le plaisir de jouer ses difficultés. L'excitation se transforme en plaisir car l'enfant commence à édifier un Moi libidinalisé. Il va pouvoir passer d'une relation duelle trop proche à une relation à trois sans vivre un désinvestissement brutal. Ce changement dans le jeu signe un travail de mentalisation. Quand il se laisse aller à dormir quelques nuits, arrive la peur des monstres témoignant d'une première représentation interne, la symbolisation se solidifie.
Au cours de la deuxième année de thérapie le jeune patient d'A. Maupas dort enfin. Vite alarmé par les bruits extérieurs au bureau de consultation, c'est toute la problématique de la présence tierce qui advient ainsi, celle qui peut nous distraire, et ces éléments cliniques amènent aux prémices de la censure. Mère et enfant expérimentent alors la possibilité de se séparer avec ambivalence et plus en tout ou rien, et les liens peuvent se conflictualiser psychiquement.
La conceptualisation de la « censure de l’amante » retient le facteur économique en jeu dans le fonctionnement psychique, c'est-à-dire la régulation de la quantité de l'excitation. Elle intègre le fonctionnement hallucinatoire de Freud et s’inscrit dans la deuxième topique.
La « censure de l’amante » en tant que phénomène dynamique central s'articule sur plusieurs niveaux et à travers différentes temporalités.
Tandis que les parents du petit insomniaque déplient leurs difficultés et la souffrance de leur enfant, ils sont aussi invités à parler d'eux. Relayés par une attitude à la fois active de la part du psychanalyste qui joue avec l'enfant tout en maintenant son écoute flottante préconsciente, il s'agit de travailler les mouvements d'investissement et de désinvestissement car chaque membre est en thérapie. Jouer avec l'enfant est une nécessité pour communiquer avec lui et faire participer les parents, jeux qui parfois les déstabilisent parce qu’ils mobilisent, inconsciemment, leur sexualité infantile. Jouer permet de remettre en route le fonctionnement préconscient des parents et d'animer leur capacités associatives et fantasmatiques. A. Maupas fera remarquer combien la dimension quantitative sature le discours parental, l'excitation non reliée à la représentation reste dans le comportement. Créative, elle pose les conditions susceptibles d'aboutir à des représentations aptes à jouer un rôle nécessaire et suffisant dans l'économie mentale permettant un travail de mentalisation et de symbolisation.
A. Maupas telle une sémiologue de la séance, trouve et propose un sens aux actes de l'enfant, aux petites variations du jeu ; elle s’appuie sur les changements et différences de régime du fonctionnement mental et observe comment la construction et la qualité des représentations vont circuler entre chaque protagoniste ; dans le hic et le nunc des séances et lors d'effets après-coup. Revenons au concept où la censure est le fait de l'amante. La femme-amante de la scène primitive, est première, l'enfant en est absent et exclu. C’est pourquoi, quand la mère endort son enfant, pour répondre au désir de son amant, elle censure sa part érotique pour protéger l’enfant se son excitation. Mère et amante, deux visages de la femme qui sont à la fois en opposition et en alternance.
L'investissement du nouveau-né par le narcissisme de la mère est fondamental pour la croissance somatopsychique de celui-ci, pour la libido de son moi. Quand la mère redevient amante, elle désinvestit son enfant et place son narcissisme érogène vers son amant, elle se tourne vers un tiers. Le tiers n'est pas perçu par l'enfant, il existe dans la tête de la mère et joue comme attracteur ; c'est ce qui va permettre à l'enfant de construire ses représentations de l'absence maternelle. L'alternance mère/femme introduit « un tiers absent hallucinable, une préforme du père de la structure œdipienne » dit Gérard Szwec.
M. Fain écrit : « La censure instaure une discontinuité psychique dans la tête de l'enfant et place l'enfant dans l'ordre symbolique », c'est par cette voie que la mère transmet le message de la castration du père. L'ordre symbolique s'édifie quand l'enfant se retrouve seul en présence d'un objet manquant. Ainsi, se créé chez lui un besoin de représentation. Le terme de censure se base sur le modèle de la censure du rêve, gardienne du sommeil. La censure écarte le déplaisir pour maintenir le plaisir de rêver. La mère censure l’amante en éloignant ses représentations gênantes et exerce une fonction surmoïque et pare-excitante. Elle protège le bébé d'excitations externes et internes trop bruyantes.
Le pare-excitant permet le développement libidinal de l'enfant et de la mère, qui peut alterner la relation sexuelle et les soins maternels, sans le brouillage des sensations érotiques et laissant libre cours aux mouvements de tendresse.
Une mère qui s'absente lors du coucher de son enfant, le laisse seul « avec ses zones érogènes à découvert » écrit M. Fain. Alors, l'enfant se trouve chargé d'une excitation qu'il va devoir écouler et transformer grâce à ses capacités hallucinatoires. Le sommeil chargé de rêve est « l’échappée » de l’enfant (M.Fain).
Lorsque l'enfant fait l'expérience de la satisfaction physiologique et libidinale, il peut régresser dans le sommeil. Le message de la mère qui endort son enfant est double et la qualité du message dépend de l'intrication entre la pulsion de vie « dors pour ta croissance » et la pulsion de mort « je me débarrasse de toi ».
M. Fain distingue deux sortes de mères, une mère dite « satisfaisante » qui est capable d’une bonne intrication des deux pulsions et qui permet à l'enfant de rêver. Et une mère dite « calmante » (tel un médicament), qui berce son enfant de manière opératoire sans valeur libidinale, et qui ne lui permet pas de vivre l'expérience de satisfaction, l’empêchant de régresser dans un sommeil chargé de rêve. Le bercement calmant devient le gardien du sommeil : dès qu’il cesse, le bébé se réveille et il faut recommencer à le bercer. C’est ce que G. Szwec appelle un bercement auto-calmant, qui cherche à calmer l'excitation par l’excitation jusqu'à l’épuisement.
Les auditeurs ont beaucoup apprécié cette conférence vivante dans laquelle à travers la clinique, la théorie psychosomatique a démontré sa pertinence.
Alexandra Depouez
psychologue clinicienne,
AEF/SPP