Ils sont de plus en plus nombreux, ces parents qui viennent nous consulter sur l’opportunité d’un régime sans gluten ou sans caséine, la mise en place d’un traitement par vitaminothérapie, pour soigner leur enfant autiste. En fait, à l’instant où ils formulent leur demande, leur conviction est déjà acquise. Les informations qui ont entraîné leur conviction, ils y ont eu accès sur internet, sur l’un des innombrables sites traitant de l’autisme.
L’organisation d’un colloque par l’association Autisme-France, intitulé « Les nouvelles approches biologiques de l’autisme » témoigne de l’intérêt croissant des familles d’enfants autistes pour ces thèmes.
Que peut-on retenir de ces informations ? D’abord, une rhétorique : la fréquence de l’autisme augmente ; elle augmenterait dans de telles proportions qu’elle toucherait un enfant sur dix dans certains États américains. Si la fréquence de l’autisme augmente, c’est que des facteurs de notre environnement sont impliqués dans ce phénomène. Quels sont ces facteurs environnementaux ? Les vaccinations, l’alimentation, la généralisation de l’antibiothérapie et la pollution. Le vaccin mis en cause, le ror, entraînerait ainsi des phénomènes immuno-allergiques responsables de l’augmentation de la perméabilité intestinale et le passage dans le sang de substances toxiques pour le système nerveux, parmi lesquelles certains acides aminés. Pour d’autres, l’aluminium contenu dans les vaccins entraînerait une intoxication aux métaux lourds. Enfin, le gluten et la caséine contenus dans l’alimentation seraient également responsables de réactions immunologiques intestinales, entraînant une augmentation de la perméabilité de la barrière intestinale et le passage dans l’organisme de substances toxiques, à l’instar de la maladie cœliaque. Pour d’autres, c’est l’utilisation des antibiotiques qui, en favorisant la prolifération de levures de type candida, favoriseraient l’augmentation de la perméabilité intestinale et ses conséquences. Le corollaire de ces théories est bien entendu la prescription de régimes excluant de manière très stricte les nutriments incriminés : gluten et caséine, la suspicion à l’égard des vaccins et de l’antibiothérapie, ou la prescription de traitements antifongiques. Dans tous les cas, les auteurs insistent sur la durée prolongée de ces régimes et traitements, et mettent en garde les parents contre tout arrêt prématuré et intempestif, qui risquerait d’entraîner une aggravation de l’état de l’enfant. Il faut noter d’ailleurs que les sites qui diffusent ces données commercialisent les kits de dosages, et les produits alimentaires qu’ils recommandent. Sur certains sites, les parents sont mis en garde contre toute approche psychothérapique, plus particulièrement psychanalytique, ou la prescription d’allothérapie. Sur quelle argumentation scientifique s’appuient de telles injonctions thérapeutiques ? Sur la juxtaposition de données scientifiques indépendantes les unes des autres, concernant des domaines parfois très éloignés de l’autisme, mêlées à des arguments cliniques très subjectifs qui confinent à la rumeur. Remarquons ainsi que l’augmentation de l’incidence de l’autisme sur laquelle s’appuie en grande partie l’argumentation développée est une observation qui dépend étroitement des critères diagnostiques définis. Or ceux-ci ont notablement changé au cours des vingt dernières années, et la généralisation de leur utilisation n’est pas acquise. Le rôle des vaccinations dans l’induction de troubles neuropsychiatriques a fait l’objet de plusieurs polémiques ces dernières années. Concernant l’autisme, plusieurs études ont examiné de manière rigoureuse les liens éventuels entre vaccination par le ror et autisme, aux États-Unis et en Europe. Leurs conclusions éliminent de manière très claire un tel lien. En ce qui concerne l’intolérance au gluten, l’autisme n’est pas plus fréquent parmi les sujets porteurs d’une maladie cœliaque, et les sujets autistes ne présentent pas de manière significativement plus fréquente d’anticorps spécifiques ni de lésions de la muqueuse intestinale typiquement retrouvées dans cette maladie. Il n’existe pas d’étude sérieuse concernant l’efficacité des régimes sans gluten ou sans caséine très contraignants sur les troubles de l’enfant autiste. Enfin, si certains travaux font état d’une perméabilité intestinale accrue chez les patients autistes, il est bien difficile de dire à l’heure actuelle si cette observation est cause ou conséquence des troubles du comportement de l’enfant autiste, souvent très importants dans le domaine de l’alimentation. Ainsi, en dépit de données scientifiques qui contredisent formellement, dans certains cas, ou ne confirment pas de manière convaincante les théories actuelles concernant le rôle causal de facteurs environnementaux, ces théories sont véhiculées avec ferveur (non dénuée d’aspects mercantiles) et trouvent un relais facile auprès de parents souvent désemparés par l’ampleur des difficultés qu’ils rencontrent auprès de leur enfant. Les parents sont invités à adopter une position de défiance et de suspicion à l’égard de tout ce qui provient de l’extérieur, et à se détourner de toute approche thérapeutique centrée sur le psychisme. Au fond, le scoop, en matière d’autisme, pourrait être résumé par cette formule lapidaire : pour soigner l’autisme, soyez autiste !