Il utilisait régulièrement les premières heures de ses soirées à construire sur son bureau, avec des ciseaux et de la colle, une petite maison en papier qui reproduisait fidèlement une de celles qu’il avait habitées autrefois.
A d’autres moments, il les contemplait, l’une après l’autre, et revivait ainsi des périodes de sa vie. Il se promenait ainsi à l’intérieur, imaginait les meubles, les cadres au mur, les papiers peints. Celle qu’il affectionnait le plus et qui le rendait pensif, était une petite villa simple avec cet écriteau : « Mon origine adorée ». Il avait, à l’intérieur, reconstitué à petite échelle le mobilier de la chambre de ses parents et, bien entendu, leur lit matrimonial avec son édredon rouge. A la manipuler ainsi trop souvent, et en raison de ses efforts pour trop regarder à l’intérieur, des morceaux de cette petite villa se décollaient. Il les recollait patiemment, méticuleusement et retraçait l’écriteau à la plume.
Un soir, sans doute dans un moment de dépression, avec une allumette il les brûla toutes.
Plus tard, il se mit à construire, toujours en papier et à petite échelle, une immense maison qu’il n’avait jamais habitée auparavant. Il lui ajoutait soir après soir des couloirs et des salons immenses. Avez-vous une idée de ce qu’elle représentait ? Une maquette de l’éternité à venir peut-être ?
Michel Soulé
« Le maquettiste » in Vous aurez de mes Nouvelles (p.99), 1999, Ed. ESF, collection «la vie de l’enfant»