Comment contester la médicalisation de l’existence et l’expertise sécuritaire des conduites si elles constituent la solution rationnelle et technique aux problèmes humains ? Comment contester le « jardinage » biométrique des populations et la normalisation sociale des individus s’ils se fondent sur le souci de constituer, d’accumuler, d’accroître et d’améliorer le capital de l’espèce ? Comment contester la légitimité des diagnostics et des soins psychiatriques si les déviances comportementales se révèlent d’origines génétiques, neuro-développementales, et si l’adaptation au milieu est naturelle ?
Mais il n’y a pas d‘Immaculée Conception des savoirs et de la science. Les savoirs émergent d’une niche écologique et culturelle qui rend possible leur construction. Les savoirs, les objets, les méthodes et les pratiques des sciences, en particulier du vivant, n’obéissent pas uniquement à une logique épistémologique définissant des régimes de vérité scientifique. Ainsi, la psychiatrie et la psychopathologie ne sont pas seulement des rationalités scientifiques et des pratiques professionnelles, elles constituent aussi des pratiques sociales qui participent au gouvernement des conduites apparaissant à un moment donné dans une société donnée. Michel Foucault parle de la psychopathologie comme d’un « fait de civilisation ». Les diagnostics psychopathologiques qui prétendent à l’objectivité médicale et à la neutralité technique renvoient aussi en miroir, aux experts qui les posent la substance éthique de leur culture et de leur formation. Devrait-on se résigner à ce que de telles questions anthropo-logiques et politiques ne soient posées que sur le parvis des colloquesscientifiques, au moment où les experts digèrent, intriguent ou dépriment entre le café de l’éthique et le digestif de la réflexion métaphysique ? La psychanalyse est moins menacée aujourd’hui par le questionnement épistémologique de sa méthode que par les conditions sociales qui président à sa mise en oeuvre.