Bien sûr, en tant que médecine des souffrances psychiques, la psychiatrie d’aujourd’hui est une discipline médicale à part entière et personne n’en conteste le principe. Mais sous ce prétexte, pourquoi devrait-elle se réduire à un exercice médical sans ses propres spécificités ? Bien sûr, en tant que branche de la médecine, elle doit se plier à ses critères de scientificité pour établir progressivement le socle de ses connaissances, à l’aune de toute démarche scientifique contemporaine. Mais sous ce prétexte, pourquoi devrait-on se restreindre aux seules sciences « dures » et faire abstraction des sciences humaines avec lesquelles elle a tant à partager ? Bien sûr, en tant que médecine des « pathologies de la liberté », la psychiatrie est aussi amenée à côtoyer des patients avec de graves troubles du comportement social. Mais sous ce prétexte, doit-on entendre à nouveau des propos archaïques et choquants qui stigmatisent tous les usagers ? Bien sûr, en tant que dispositif de soin chargé de traiter tous les patients, elle doit rendre des comptes sur sa manière de dépenser l’argent public. Mais sous ce prétexte, pourquoi devrait-on placer ses praticiens « sous perfusion » d’évaluations simplificatrices, augmentant le sentiment de bureaucratie généralisée au détriment du sens et de l’éthique de leurs pratiques psychiatriques ?
Or les réformes discutées au Parlement sont inquiétantes. La psychiatrie de secteur, véritable révolution culturelle du vingtième siècle dans l’organisation et la théorisation de la psychiatrie, risque tout simplement de disparaître avec la séparation délétère des activités des CMP, de celles de l’hospitalisation, empêchant ainsi les suivis de patients dans la continuité. Et c’est pourtant elle qui pourrait véritablement résoudre tous les problèmes qui se posent aujourd’hui aux acteurs de la psychiatrie : patients, familles, professionnels, partenaires et politiques. Mais à la condition de lui laisser les initiatives nécessaires pour créer des réponses à partir de ses spécificités : préservation des services sectorisés, déhiérarchisation des fonctionnements statutaires, développement de la formation des soignants, véritables concertations entre les équipes et les patients ou leurs représentants, mises en place de programmes de recherche pluridisciplinaires et réflexion sur la fonction des médias dans la prévention en psychiatrie. Sans quoi, la « psychiatrie d’avant le secteur », celle de l’enferment, sera inéluctablement de retour.