A l’aube de l’année 1995, nous devons faire des souhaits pour le maintien et le développement de la psychiatrie et de ses assises psychopathologiques. Pour uniquement évoquer ici le champ de la psychiatrie de l’enfant, on nous laisse en effet volontiers entendre que « les pédiatres du comportement », tels qu’ils se définissent aux Etats-Unis, permettront d’aider parents et enfants, grâce à des protocoles appropriés à chaque situation. On nous invite aussi à ne pas nous occuper du sujet handicapé, en faisant un usage falsifié de ce mot, qui, pour ceux qui veulent expliquer qu’il ne s’agit pas d’une maladie, oublient que ce terme veut signifier le désavantage lié à une infirmité ou à une maladie, pour celui qui en est atteint et pour sa famille. D’autres veulent limiter l’action des psychiatres « ordinaires » dans le domaine de l’autisme et des psychoses de l’enfant et conseillent que des évaluations ne soient faites que dans deux ou trois centres hautement spécialisés qui, seuls, auraient fait leurs preuves. Il est certainement temps d’évaluer la qualité des soins et de trouver, pour le faire, des méthodes scientifiques qui tiennent le plus grand compte du bien-être des familles, ce qui suppose aussi que les parents connaissent les ressorts qui justifient les divers abords thérapeutiques.
J’aimerais ici annoncer qu’un ouvrage est en préparation pour permettre aux parents et aux « décideurs » de participer en pleine connaissance de cause à une nécessaire conférence de consensus à ce sujet.
Mais il suffit de réflechir à l’évolution de notre monde pour voir que le développement de la psychiatrie est également nécessaire dans d’autres directions :
-en France même, certaines familles du quart-monde n’accèdent pas aux soins nécessaires; j’évoquerai seulement le sort des enfants et de leurs jeunes mères, qui, souffrant dans l’isolement d’une dépression post-partum, courent de graves dangers.
-les connaissances sur la gravité des abus sexuels ont maintenant pénétré dans le champ de la psychiatrie. Mais il appartient à notre spécialité en France et dans les pays où la culture est proche de la nôtre, de connaître l’intérêt du diagnostic des « personnalités multiples » en y reconnaissant les traces de l’hystérie collective et en évitant les excès des dénonciations innombrables favorisées par les efforts des « thérapeutes » qui aident à retrouver les traces de ce passé. Il faut ici remercier E. Flamer de nous avoir apporté un document filmique qui témoigne de l’importance culturelle de ce problème et de son importance psychopathologique. Ce n’est pas une raison pour ne pas donner à la question des abus sexuels la place qu’elle mérite : les problèmes concernent les conditions de la dénonciation par les enfants, avec les procédés actuels pour recueillir leur témoignage, en l’absence des accusés, par vidéoscopie, le traitement des « abuseurs », etc.
Le département de Psychopathologie de l’Enfant et de sa Famille de la Faculté de Médecine de Bobigny organise des journées de travail sur ce thème et publie des ouvrages sur cette question (2).
-l’exclusion de nombreux de nos concitoyens revêt une importance croissante dans notre société qui de plus en plus évolue à deux vitesses. La psychopathologie des exclus semble s’engager dans la direction de « l’agir », avec laquelle la pathologie actuelle de l’adolescent nous a familiarisé, comme ce fut aussi le cas de la meilleure connaissance du domaine de la psychosomatique : il faut en être reconnaissant à Pierre Marty, récemment disparu (3) et à l’école psychosomatique de Paris. Il suffit de réfléchir à la honte sociale que peut entraîner le chômage prolongé pour comprendre que des efforts sont nécessaires aussi pour aborder les aspects psychopathologiques de la désidéalisation que vivent nos concitoyens : des petits groupes de chomeurs, assistés par un psychothérapeute, semblent permettre des réinsertions sociales qui sont des modèles possibles pour de plus vastes applications aux exclus qui justifient d’autres efforts que l’action charitable.
-dans une perspective analogue, ne faut-il pas travailler aussi pour mieux archiver les désastres des traumatismes vécus en Europe ou en Afrique par de nombreuses familles, mais aussi mieux comprendre les ressorts de l’action dite humanitaire qui doit respecter les cultures de ceux qu’elle prétend aider : une monographie sur ce type de travail dans l’ex-Yougoslavie est en cours d’impression (4). Les « casques bleus » devraient sans doute apprendre que la misère matérielle n’est pas tout et que la dépression fait partie du malheur de ces populations. Un centre de
recherches, d’aide et de formation pour ce qui concerne les traumatismes graves de la petite enfance est sur le point d’être mis en place. Je crois pouvoir l’annoncer ici. Il s’agira du CEDRATE.
-au moment où la carte génétique se complète et où l’aide financière des Français est sollicitée par les associations de parents qui soutiennent efficacement cette recherche, il faut, semble-t-il, créer avec les généticiens des formations « d’accompagnants » qui pourront aider les familles à supporter l’annonce de la maladie, à maintenir l’équilibre du couple parental et celui des frères et soeurs et à aider ceux qui sont atteints de maladies à potentiel léthal à tirer le parti le plus acceptable de leur infirmité.
Ainsi la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent qui, dès la mise en oeuvre de la politique de sectorisation, avait réalisé des modes de collaboration avec les écoles, en effectuant même des rééducations du langage dans les écoles, pour s’en retirer, quand il était apparu que le domaine spécifique des difficultés d’apprentissage était mieux connu. Depuis la loi de 1975, la collaboration entre le système scolaire qui relève de l’action sociale et la psychiatrie de secteur est assurée par les commissions (dites CDES) qui permettent dans une certaine mesure la continuité des soins et les essais d’intégration scolaire des enfants présentant des troubles mentaux.
Ce rappel voudrait montrer aux psychiatres d’enfants que, tout en utilisant eux-mêmes ou en connaissant l’utilisation du recours à la neuropsychologie et aux théories modernes du fonctionnement mental, leurs modalités de travail ne sauraient se limiter à la garde d’enfants considérés comme des handicapés. Il leur faut assurer un redéploiement. On doit se réjouir des prétentions des parents à choisir telle ou telle méthode de traitement : c’est leur droit, à condition qu’ils ne prétendent pas recourir uniquement à des méthodes magiques. Nous avons aussi des obligations morales à l’égard des enfants que nous suivons.
C’est aussi proclamer notre reconnaissance à l’égard de « Carnet Psy » qui nous annonce les évènements importants dans notre discipline et les disciplines alliées, ce qui permettra d’éviter les chevauchements si désagréables pour les organisateurs de réunions scientifiques et pour les participants souvent confontés à des choix difficiles .
Notes bibliographiques
1 E. Flamer
2 Gabel M, Mazet Ph & Lebovici S (à paraître), L’inceste, Paris, PUF et Les abus sexuels , Paris, Ed. de Fleurus.
3 cf Revue Française de Psychosomatique, n°6/1994 qui lui est consacrée.
4 Moro MR & Lebovici S (à paraître) A propos de l’action humanitaire en Ex-Yougoslavie et en Arménie, Paris, PUF.