EXPOSITION, Les archives du rêve. Dessins du Musée d’Orsay. Carte blanche à Werner Spies, Jusqu’au 30 Juin 2014
Guy Rosolato aurait conseillé à Henri Ey de ne surtout pas mettre d’images dans son livre sur les hallucinations. Comment en effet représenter, ou plutôt figurer, les productions psychiques non réalistes, surnaturelles, oniriques, telles que les rêves ou les hallucinations ? L’accrochage de dessins au Musée de l’Orangerie relève le défi.
L’exposition a été conçue par Werner Spiess, à qui on a donné carte blanche pour faire un choix dans l’immense collection du Musée d’Orsay : près de 80 000 dessins ! Comment choisir ? Il fallait un critère… Werner Spiess a choisi celui du rêve, ce qui n’étonnera pas de la part d’un spécialiste du surréalisme.
Au fil des salles, on voit des œuvres très différentes. Si certaines sont en plein dans le sujet, comme Odilon Redon, dont chaque dessin irradie d’une spiritualité tantôt rayonnante tantôt inquiétante, comme Spillaert, dont les perspectives proposent des visions toujours décalées et inattendues, comme Millet dont les glaneuses et les pêcheurs semblent rêver plutôt que de travailler, comme Seurat dont les merveilleuses silhouettes au crayon Conté tremblent comme des fantômes, d’autres, comme Degas, dont les femmes semblent occupées très activement avec leur corps plutôt que de rêver, sont loin de l’univers onirique, et les caricatures de Daumier semblent carrément hors sujet. De plus, les œuvres exposées correspondent à des univers thématiques et esthétiques très hétérogènes. Au point que le spectateur, -heureux, pourtant, de voir tant de belles choses, car l’ensemble est d’une grande beauté- finit par se demander : « qu’est-ce que le rêve ? ». Quel est le fil directeur ?
« Ferme l’œil de ton corps afin de voir avant toute chose ta propre image par l’œil de l’esprit ». Cette phrase de Caspar David Friedrich, mise en exergue de l’exposition, nous donne peut-être la clef. C’est le parti-pris de la subjectivité. Il faut imaginer cette masse de dessins du 19ème siècle, se composant de quantité de scènes d’histoire, de sujets religieux, d’œuvres académiques, de sujets de commande, des images de style pompier, d’études en tout genre. Werner Spiess nous a épargné tout cela en privilégiant les œuvres « novatrices, mystérieuses, surprenantes », œuvres plus personnelles, où la subjectivité de l’artiste est engagée. Et forcément celle du commissaire. Il nous invite à avoir sur ces œuvres du 19ème siècle un regard du 21ème siècle. D’ailleurs il a demandé à un certain nombre d’artistes contemporains une réaction à l’une des œuvres exposées, sur une feuille, que l’on retrouve dans le catalogue.
Werner Spiess a une conception très élargie du rêve, qui correspond à celle de la psychanalyse contemporaine, différente de celle de Freud. Ce qui intéresse n’est pas tant le rêve en tant que tel, mais l’activité de « rêver », qui constitue le fonds permanent de la vie psychique. Nous rêvons le jour comme la nuit. Il n’est pas nécessaire de dormir pour rêver. Avec cette idée, toutes les œuvres exposées prennent un sens : la feuille recueille une expression libre, intime, singulière de chaque artiste, témoignant de ce fonds onirique qui nous habite et nous anime. Prenons par exemple une toute petite œuvre qui pourrait passer inaperçue, la danseuse Hanako, de Rodin. En quelques traits d’aquarelle, il nous évoque un monde de rêve. On dirait que son pinceau a rêvé. Que la danseuse, à peine esquissée, sort d’un rêve, mais est prête à y retourner. Il ne s’agit pas de représenter un personnage qui rêve, ni de donner une image de rêve, mais c’est l’artiste qui rêve. Qui rêve en créant. Qui crée en rêvant.