Du son au lien, du lien au son
Pour introduire ma réflexion sur la problématique des limites dans le fonctionnement autoérotique, je vais parler ici d’un enfant au piano : enfant unique, fils de parents âgés. Avant sa naissance, sa mère, elle-même professeur de chant, pianiste et organiste, s’est fixé comme objectif de faire de lui un grand musicien. Il réussirait là où elle – piégée par le mariage – en était restée à une carrière locale. Lors de sa grossesse, elle se mit régulièrement près du tourne-disque ou du poste de radio diffusant des programmes de musique classique, certaine que par ce traitement prénatal, le cerveau de l’enfant s’imprégnerait plus facilement du langage musical : il comprendrait la musique avant même de la lire ou de la jouer. Dès qu’il fut en mesure de s’asseoir, elle l’installa à côté d’elle au piano, tandis qu’elle jouait en chantant les notes. Ce traitement particulier porta ses fruits : l’enfant apprit le nom des notes avant les mots, la musique avant de parler. Et comme dans tout conditionnement, le succès devait être récompensé d’une gratification et l’échec d’une épreuve non agréable. La mère proposa ce petit jeu : dès qu’il fut en âge de marcher, elle l’envoyait à l’autre bout de la maison, jouait une note sur son piano que l’enfant devait reconnaître et nommer. S’il se trompait, il n’avait pas le droit de revenir. Entre elle et lui, le son, des notes, la musique, un invisible fil auditif… L’enfant ne se trompait jamais. On est loin du jeu de la bobine observé par Freud ! Puisque ici, c’est la mère qui tient l’autre bout du fil auditif. Et puis, difficile de faire disparaître la mère car le son, contrairement à l’image, traverse les murs.
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