« Rassembler les morceaux du puzzle »
Éditorial

« Rassembler les morceaux du puzzle »

Au procès du 13 novembre, l’importance de « rassembler les morceaux du puzzle » a souvent été répétée par ceux qui se sont avancés à la barre.

Certes, comme tout procès, celui-là cherche à reconstituer le déroulé des faits qui ont mené aux attentats du 13 novembre 2015 et à établir la part qu’a prise chacun des vingt accusés dans ces attaques qui ont fait 130 morts et plusieurs centaines de blessés physiques. Mais, en répétant ces mots, les victimes semblaient poursuivre un but vital, que la compréhension psychanalytique du trauma peut éclairer. En psychanalyse, le traumatisme psychique se définit par l’effroi, que Freud distingue de la peur et de l’angoisse par son inattendu. La personne traumatisée ne peut pas se préparer à la menace d’anéantissement qui surgit, ni renforcer le pare-excitations qui protège l’appareil psychique d’expériences trop fortes. Le sujet se retrouve seul et impuissant face à des sensations qui le submergent et qui vont effracter le pare-excitations, laissant la scène traumatique se fixer à l’intérieur du psychisme.

La prise en charge en immédiat de traumatisés psychiques conduit à penser que ce qui signe l’effroi est le blanc. Lorsque nous, les « psys » des Cellules d’Urgence Médico-Psychologique, co-construisons avec eux le récit d’événements traumatisants, il manque souvent un ou des « morceaux ». A côté d’images, sons ou odeurs envahissants, le souvenir du moment le plus effractant peut faire défaut, la notion du temps et les repères spatiaux se dérobent par instants. On peut supposer que reconstituer avec précision, minute par minute, pièce par pièce, le puzzle de son vécu, c’est lutter contre le blanc de l’effroi, reprendre la main pour essayer de comprendre et penser ce qui a été subi.

Dans la salle d’audience, pendant cinq semaines, sans être interrompues, plus de 350 parties civiles ont témoigné de ce qu’elles avaient traversé, certaines d’entre elles pour la première fois. Ainsi, le procès du 13 novembre a réuni tous ces récits, comme autant de pièces d’un puzzle collectif. Chaque victime pouvait trouver dans les témoignages des autres d’éventuels « morceaux » qui lui manquaient, parfois même des marques de réconfort, et en retirer une meilleure compréhension de l’événement.

Il est admis qu’un procès a le mérite de reconnaitre la réalité des faits subis par les victimes et la culpabilité des auteurs de ces faits. Grâce à l’emboitement des récits qu’il permet, à l’image d’un pare-excitations qui pourrait être progressivement reconstitué, le procès du 13 novembre semble aussi contribuer à des élaborations personnelles et partagées, susceptibles de se poursuivre ultérieurement.