Damien Hirst à la fondation Cartier
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Damien Hirst à la fondation Cartier

Des peintures, s’il vous plaît… lui qui a largement contribué à l’idée qu’il n’y avait plus de peinture. Des cerisiers en fleurs, c’est un thème kitsch, voire ringard. Il est vrai que le kitsch n’a jamais fait peur à Damien Hirst, mais ici c’est un kitsch assez folklorique ou petit bourgeois. On pense évidemment au culte des Japonais pour les cerisiers en fleurs, et leurs piqueniques dominicaux où ils s’extasient sous les branches fleuries, au Japon ou au parc de Sceaux. Qu’est-ce qui lui a pris, se demande-t-on, en le soupçonnant d’un nouveau coup médiatique ? Le public évidemment se précipite… La critique l’encense. Ça vaut la peine d’aller voir d’un peu plus près de quoi il en retourne.

Voici ce qu’écrit Damien Hirst lui-même pour présenter l’exposition : « Les Cerisiers en Fleurs parlent de beauté, de vie et de mort. Les toiles sont excessives – presque vulgaire (…). Elles sont ornementales mais peintes d’après nature. Elles évoquent le désir et la manière dont on appréhende les choses qui nous entourent et ce qu’on en fait, mais elles montrent aussi l’incroyable et éphémère beauté d’un arbre en fleurs dans un ciel sans nuages. C’était jouissif de travailler sur ces toiles (…). Les Cerisiers en Fleurs sont tape-à-l’œil, désordonnées et fragiles, et grâce à elles je me suis éloigné du minimalisme pour revenir avec enthousiasme à la spontanéité du geste pictural ».

L’artiste dit donc retrouver une spontanéité de sa créativité artistique. Faut-il le croire ? Damien Hirst a commencé ces tableaux bien avant la pandémie, puis, ensuite, confiné, il s’est retrouvé tout seul, sans l’armada d’assistants qui l’entourent habituellement. Il dit avoir apprécié ces moments de solitude, où il peignait de manière frénétique. Il y a une certaine hypocrisie, puisqu’on sait qu’il a licencié ces assistants dans des conditions peu correctes, avec une logique de chef d’entreprise, plutôt que d’artiste.

Dans une vidéo, on le voit remplir inlassablement et répétitivement de très grandes toiles, de touches de couleurs, les dots. Ce sont les fleurs qui remplissent tout l’espace sur fonds de ciel bleu, et accrochées à quelques branches. Les couleurs sont flatteuses, dominées par le rose. L’ensemble est plaisant. Mais il s’en dégage très vite un sentiment d’ennui. C’est plus joli que beau. Cela évoque un enfant qui vient de recevoir une belle boîte de crayons Caran d’Ache et qui voudrait peindre l’univers des princesses ou des licornes avec ces jolies couleurs.
Quel est le parcours qui a amené l’artiste à ces « Cerisiers en fleurs » ? Très jeune, Damien Hirst, de milieu modeste, fait partie des Young British Artists, un groupe d’artistes très provocateurs. Il se passionne très tôt pour l’art et pour le morbide. Damien travaille à la morgue, où il trouve matière à satisfaire son obsession macabre. On raconte par exemple qu’il a dérobé une oreille, lors d’une visite dans un hôpital, qu’il cache ensuite dans la pizza d’un de ses amis.

Sa première œuvre exposée One Thousand Years (Un millier d’années) est une vitrine où naissent des mouches dans un nid, qui s’affairent autour d’un crâne de vache sanguinolent, puis meurent pour la plupart électrocutées sur une lampe bleutée. Cette œuvre a attiré l’attention de Charles Saatchi, le magnat de la publicité, qui l’achète et dès lors a lancé les œuvres de Hirst, en leur assurant une médiatisation très professionnelle et des prix de vente exorbitants. C’est en 1990 que Damien Hirst entame ce travail sur des cadavres d’animaux, Natural History, qui l’a rendu célèbre, il met en scène des bêtes, achetées mortes, qui ont dû être congelées, afin d’être tranchées par la tronçonneuse de l’artiste. Ainsi Mother and Child (Divided), ( Mère et Enfant (Divisés/Séparés), créé en 1993, présente quatre cages en verre, deux grandes qui contiennent chacune la moitié de la vache coupée en deux, et deux plus petites avec les deux moitiés du veau. Le spectateur voit l’intérieur de leur corps, pourrissant, en décomposition, baignant dans du formol, qui se putréfie en se teintant en bleu turquoise. On est loin de la peinture, qui a pourtant préoccupé Damien Hirst tout au long de sa carrière, mais avec des tentatives peu convaincantes. Je dirais qu’il n’est pas vraiment un peintre et ces cerisiers en fleurs sont des illustrations assez anecdotiques, plutôt que des œuvres d’art. Notons que sa mère faisait de la peinture et peignait … des cerisiers en fleurs.

Si on compare avec l’autre grand artiste le plus cher du monde, David Hockney qui a lui aussi, pendant son confinement en Normandie, peint des arbres en fleurs, la différence est criante. Il y a chez Hockney une complexité, un travail sur la perspective, une utilisation très innovante des nouvelles technologies, qui suscitent un intérêt que l’on ne trouve pas chez Damien Hirst. On pourra faire la comparaison à la rentrée en allant voir l’exposition David Hockney au Musée de l’Orangerie, du 13 octobre 2021 au 14 février 2022.