Comme le souligne Jean-Claude Rolland dans sa très belle préface « on est reconnaissant à Mickael Benyamin dans le présent ouvrage dont on admirera la force et la profondeur, de centrer sa réflexion sur cette question de la topique psychique (…) Retrouvant la conviction freudienne de la créativité du préconscient, Benyamin s’attache à décomposer aussi loin que possible sa structure ». Mickael Benyamin, psychanalyste et maître de conférences à l’Université Paris Diderot, s’attache dans son livre très dense mais passionnant, à étudier le préconscient dans la psychanalyse, à partir de la psychosomatique et de tenter de repenser le processus de l’adolescence à partir du travail du préconscient. Le livre est rigou-reusement métapsychologique et à ce titre il est parfois hermétique pour le lecteur non familiarisé avec la théorie psychanalytique, mais l’auteur a le souci de toujours rester au plus près de la clinique et de nombreux cas cliniques emmaillent son livre qui le rendent vivant. Dans la psychanalyse, l’auteur remonte à Freud et montre de manière très détaillée combien ce dernier hésite tout au long de son œuvre à donner au préconscient un statut à part entière. Tantôt un système (dans L’Interprétation des rêves), tantôt une instance (dans l’Abrégé de Psychanalyse), tantôt une qualité (dans Le Moi et le Ça), on voit comment Freud navigue à travers ce concept mais l’introduction de la deuxième topique l’empêchera définitivement de lui donner le statut d’un concept.
A partir de la psychosomatique, l’auteur part des travaux de Pierre Marty qui fait « du préconscient la pierre angulaire de la psychoso-matique » pour en faire « la pierre angulaire du fonctionnement psychique ». Mickael Benyamin rend hommage au fondateur de l’IPSO en décortiquant son œuvre pour reprendre l’usage que Marty fait du préconscient en lui rendant enfin ses lettres de noblesse (ce que n’avait pas fait Freud). Mais loin de n’être qu’un résumé des travaux de l’IPSO, Mickael Benyamin discute et met au débat les différents auteurs, ce qui a le mérite d’introduire un point de vue critique, jamais réducteur, sur la psychosomatique. L’auteur rappelle les discussions, parfois virulentes, sur la pensée opératoire entre A. Green et P. Marty et ses élèves. Il étudie également les positions de J. McDougall ou encore de C. Dejours, qui tout en appartenant à l’IPSO, a pris ses distances avec le fondateur et a proposé des conceptions psychosomatiques en s’appuyant sur l’œuvre de J. Laplanche notamment. Mickael Benyamin étudie sa conception de la topique du clivage qu’il relie brillamment à son sujet principal : le processus de l’adolescence.
L’auteur consacre un chapitre entier sur les conceptions psychosomatiques de l’adolescent et se demande à juste titre pourquoi les adolescents dont la mentalisation est incertaine et dont le préconscient est mis à mal par le pubertaire et la génitalisation, ce qui engendre des décharges de la tension, que ce soit par passages à l’acte ou décompensation psychosomatique chez l’adulte, pourquoi les adolescents ne somatisent pas plus que cela ? Il se réfère, entre autres, pour répondre aux deux lignées proposées par C. Smadja que sont la lignée hallucinatoire (et toutes les théorisations de M. Fain sur la censure de l’amante comme prélude à la vie fantasmatique) et la lignée traumatique qui, elle, va engager le sujet dans le travail du négatif et les maladies somatiques. Concernant la psychanalyse de l’adolescence, l’auteur, qui en a fait son principal objet de recherche tant théorique que clinique, fait un recensement très exhaustif de tous les auteurs contemporains de Ph. Jeammet, à B. Brusset en passant par Ph. Gutton, F. Ladame, R. Cahn ou E. Kestemberg. Mickael Benyamin pose comme première pierre à son édifice principal le principe suivant : l’adolescent qui ne parle pas en entretien, associe peu, ne rêve pas, se contentant souvent d’être dans le factuel et le surinvestissement du registre perceptif et moteur n’en est pas pour autant un patient opératoire. Selon l’auteur, qui s’appuie sur l’œuvre de E. Kestemberg, et notamment son concept de « phobie du fonctionnement mental », si l’adolescent ne parle pas, ce n’est pas parce que les mots manquent et qu’il n’a pas de représentations à sa portée, mais plutôt parce que ce qu’il a à dire serait trop excitant et trop désorganisant. C’est toute la clinique et la psychanalyse du processus de l’adolescence que Mickael Benyamin revisite sous l’angle du contre-investissement et sous l’angle économique.
L’hypothèse principale, originale et pertinente de l’auteur, est que le préconscient agirait comme un « pare-excitation interne, un pare-excitation du dedans ». Le travail du préconscient traiterait les excitations internes issues du pulsionnel et du pubertaire et permettrait ainsi de les désexualiser en partie et de leur faire perdre leurs charges énergétiques. L’adolescent pourrait ainsi continuer à penser et à se penser dans son rapport à lui-même et à son corps (l’auteur revient sur le narcissisme primaire et la psychosomatique) et dans son rapport aux autres (l’auteur revient sur le conflit narcissico-objectal développé par Ph. Jeammet si important à l’adoles-cence). L’auteur rappelle que le travail de la psychisation du pulsionnel passe par le travail du préconscient, lieu ou s’opère le mélange entre les représentations de mot et les représentations de chose.
Le propos est très développé et dense, et Mickael Benyamin fait appel à toute la théorisation sur la pensée et le statut de la repré-sentation dans la psychanalyse pour étayer son propos. Les auteurs comme A. Green, R. Roussillon, B. Golse, J.-C. Rolland, D. Anzieu, P. Aulagnier y sont convoqués et étudiés. Il envisage ainsi le préconscient, non plus comme appartenant à la première topique, mais comme étant à la frontière des deux topiques, tentant même d’en faire une topique à part entière. Il propose ainsi l’idée suivante : « Le préconscient devient le liant entre le modèle représentationnel de la première topique et le modèle pulsionnel de la deuxième topique ». Bien d’autres mises en perspectives parcourent ce livre très inventif, qui à partir d’un commentaire ou d’une discussion très serrée des apports contemporains propose de nombreuses hypothèses. Mickael Benyamin, psychanalyste d’ado-lescents, n’en oublie pas la clinique et les implications de sa pensée sur la pratique. Il consacre tout un long chapitre sur la théorie de la pratique en psychanalyse de l’adolescent, là encore en étudiant les auteurs à la fois les psychosomaticiens (C. Parat, M. Fain…), les psychanalystes d’enfants et de la latence (P. Denis, R. Diatkine…) et les psychanalystes d’adolescents (Ph. Gutton, F. Richard…) qu’il fait débattre entre eux pour proposer ses propres idées. L’ensemble se lit avec plaisir, pour ne pas dire avec passion, et nous propose une théorisation renouvelée, rigou-reuse et cohérente du travail du préconscient et de son importance dans le processus de l’ado-lescence.