Paul Klee, l’incontournable, l’autre géant du XXe siècle, avec Picasso (et Matisse) est à Beaubourg. L’exposition revisite son œuvre immense à travers le thème de l’ironie, mettant en lumière la dimension ludique, humoristique, parfois sarcastique de l’œuvre. Mais l’œuvre de Klee est tellement riche, complexe, multiforme et polysémique, qu’elle échappe à toute catégorisation. S’il y a du ludique, il y a du tragique aussi. Il ne se laisse définir par aucun point de vue ; il les déborde tous, apportant sans cesse quelque chose de nouveau, d’inattendu, d’inédit.
C’est pourquoi chaque toile de Klee est un enchantement, et peut être vue selon des vertex différents. Il combine la spontanéité de l’infantile (on sait que Klee s’est énormément intéressé au dessins des enfants et à l’ « art des fous », précurseur de l’engouement actuel pour l’Art Brut) et l’extrême sophistication de la conception des œuvres. On lui a reproché d’être trop intellectuel, mais ce serait sans compter la poésie, l’inventivité, les belles couleurs, les lignes sinueuses qu’on suit avec plaisir, comme une promenade, les maisons, les villes, les jardins, la lune, les funambules, les animaux et les plantes. Et le bonheur pour les yeux. Si pour Baudelaire, « l’imagination c’est l’art de faire surgir les rapports intimes et secrets des choses, les correspondances et les analogies », c’est à cela que nous invite Klee.
Klee a beaucoup intéressé les penseurs du XXe siècle, parce qu’il donne à voir le processus de la création, la genèse de l’œuvre. Foucault se demande : qui serait l’équivalent aujourd’hui de
Velazquez ? Et répond que ce serait Paul Klee. Auteur d’écrits remarquables sur la théorie de l’art (sa fameuse formule « L'art ne reproduit pas le visible ; il rend visible »), ami de Kandinsky, en lien avec les Surréalistes, le mouvement Dada, le Blaue Reiter, le Bauhaus, il ne s’est pourtant affilié à aucun courant, réfractaire à tout dogmatisme.
Une salle est consacrée à Klee et Picasso. Ils se sont rencontrés une première fois en 1933, lorsque Klee a visité l'atelier parisien de l'Espagnol, avec un groupe d'artistes. Et une deuxième fois en 1937, lorsque Picasso est venu le voir dans l'atelier bernois où le peintre allemand né en Suisse, qualifié de décadent par les Nazis, a dû s’exiler, et où il est mort, à 60 ans, après plusieurs années d’une cruelle maladie très invalidante. Lors de cette rencontre, Picasso regardant les toiles, Klee restant silencieux, les deux artistes se seraient à peine parlé… C’est bien avec de l’ironie que Klee a réagi à cette visite, inventant un animal imaginaire et archaïque, qu’il nomme Urchs, mélange de bœuf (Ochse) et d’origine (Ur), caricature du Minotaure de Picasso, avec lequel il rend compte avec humour de la confrontation avec la maître. La différence entre les deux artistes est frappante. Chez Picasso, le minotaure, taureau sexualisé, exprime les pulsions bestiales, auquel le peintre s’identifie. Chez Klee, un animal drôle et pataud, vient se moquer de l’ambition et du pathos de Picasso.
L’ironie rend modeste. Sur sa dernière œuvre (1940), Sans titre, il s’agit d’une composition avec fruits), Klee écrit :
« Sollte alles denn gewusst sein ?
Ach, ich glaube nein ! »
"Est-ce que tout devra être su ?
Ah, je pense que non !"
Au moment de mourir, il part en sachant que tout n'est pas su, qu'on laisse sa vie et son œuvre en état d'inachèvement, car il reste tant de choses à découvrir. Pour compléter cette rencontre avec Klee, on peut se rendre, à l’occasion des vacances d’été, au Paul Klee Zentrum, à Berne, bâtiment conçu par Renzo Piano, et qui détient la plus grande collection Klee au monde. Lieu d’expositions très pointues, dont actuellement, jusqu’en janvier 2017, Images en mouvement, qui étudie l’importance du mouvement, danse, rythmes, espaces, pesanteur, dans l’œuvre de ce grand artiste.
Simone Korff Sausse
Psychanalyste SPP