Je viens de jouer un nouveau tour à trois livres importants de ma bibliothèque : la Bible hébraïque, la Bible catholique et le Coran. Il y a longtemps déjà, j’ai délibérément choisi de les encadrer prudemment entre Spinoza et Freud.
Le panthéisme du philosophe d’Amsterdam, banni par sa propre communauté et transgressant l’idée d’interprétation unique des textes sacrés en insistant sur la contextualisation historique de leurs formulations m’est toujours apparu comme un garde-fou essentiel contre l’unicité de toute vérité jalouse, indissociable de la barbarie des sempiternelles guerres de religion. De son côté, le Freud athée, désacralisant l’égyptien Moïse et déconstruisant les transactions narcissiques collectives de l’émergence du premier monothéisme m’apporte des outils cliniques pour accueillir l’avenir présent des illusions religieuses et des stratégies politiques reposant sur l’idéalisation/déception de la figure paternelle d’un « grand homme ». En ce début d’année, j’ai singulièrement enrichi cet entourage en disposant à proximité du trio sacré, l’ouvrage de Maurizio Bettini, « Éloge du polythéisme 1 » .
Ce philologue italien nous offre une remarquable immersion dans son champ de recherche des religions antiques grecques et latines et le voyage vaut véritablement le détour ! Le lecteur est convié à la découverte des « potentialités refoulées, voire réprimées » du polythéisme antique. Plus encore, ce texte nous permet de mesurer l’ampleur de notre profond conformisme monothéiste qui nous prive manifestement d’opportunités polythéistes pertinentes pour affronter notre malêtre contemporain en général et la violence des conflits religieux en particulier. Le trésor oublié de la religiosité polythéiste antique, c’est sa faculté d’établir avec « flexibilité » des « relations réciproques d’identification » entre les divinités appartenant à des cultures différentes à l’abri de l’exclusive du vrai et du faux. Elle correspondait à un travail « de médiation interprétative » synonyme de « négociation » entreprise par les grecs et les romains à l’égard des divinités autochtones rencontrées à l’occasion de leurs expansions conquérantes. « Dans les cultures polythéistes, les dieux d’autrui ont été perçus non comme une menace à l’encontre de la vérité unique de son dieu spécifique, mais comme une possibilité, ou même une ressource. ». Traduite dans un univers républicain laïque, cette caractéristique des religions polythéistes antiques constitue pour nos débats d’idées dans l’hexagone et au-delà une excellente formule de vœu politique et moral pour 2019 !
Pr Sylvain Missonnier
1. Les Belles Lettres, 2018. Traduction de Vinciane Pirenne-Delforge