Florence Quartier, Alain Casanova (dir.) L’héritage vivant de René Diatkine
Editions PUF, 2015, 247 pages, 26 €
Florence Quartier, amie de longue date de René Diatkine dirige cet ouvrage qui ouvre sur une biographie très fouillée du parcours de René Diatkine, de 1918 à 1997, et Gilbert Diatkine rappelle les axes de l’œuvre écrite de son père : mettre la psychanalyse au service d’un renouveau de la psychiatrie pour en abattre les murs, son engagement dans la création de la psychiatrie de secteur, sa contri-bution à la connaissances des états psychotiques, à la formation des orthophonistes, sans oublier sa contribution, avec S. Lebovici, J. et E. Kestemberg, à l’invention du psychodrame analytique. Fonda-teur, avec Ph. Paumelle et S. Lebovici, de l’ASM13 à Paris, il a été le principal animateur du centre Alfred Binet jusqu’en 1995.
René Diatkine est aussi un élève d’Ajuriaguerra, avec qui il a travaillé au développement d’une perspective psychopathologique pour des troubles précoces graves des enfants juque là envisagés sous le seul angle neurologique. Dans cette perspective, Bernard Touati montre plus loin ce que l’approche psychanalytique des états autistiques doit à René Diatkine ; vision innovante pour un engagement thérapeutique auprès des enfants autistes et de leurs familles ; vision qui ne méconnais-sait pas la complexité étiologique de ces états et la nécessité d’un abord pluridisciplinaire.
Bernard Golse n’a connu directement René Diatkine que dans les dernières années de sa vie. Après avoir rappelé qu’il est un des trois piliers, avec Serge Lebovici et Michel Soulé, d’une œuvre monumentale, il nous présente un homme pour qui il n’est pas de développement sans plaisir, un homme attaché, comme Winnicott, à maintenir dans une tension créative les aspects paradoxaux de la pensée. Nicolas de Coulon aborde l’engagement de René Diatkine dans le travail psychiatrique institutionnel à Genève puis décrit ce qu’est aujourd’hui l’intervention psychanalytique dans l’institution psychiatrique. Le legs de René Diatkine est difficile à résumer, mais il insiste sur le souci diatkinien de « ne pas empêcher l’émergence de nouvelles possibilités psychiques » quel que soit le dispositif ou le lieu où se trouve le patient. Coulon met en dialogue la théorisation de Diatkine avec celle de Bion à travers la « capacité de rêverie » de la mère, avec Freud (le Nebenmensch), Winnicott (la place des dispositifs transitionnels), et Green, autour du travail du négatif. Il rappelle aussi le socle éthique de Diatkine : « …parmi les êtres humains souffrant de manque de considération, les patients psychiatriques sont les plus desservis… Ils ont droit à la même attention que les patients en analyse. »
Florence Quartier propose une réflexion approfondie sur la transmission de la psychanalyse. René Diatkine « ne faisait jamais sentir lourdement la densité de sa réflexion analytique » ; elle décrit un homme déjà âgé, affable, portant une égale attention au médecin-chef, à l’infirmier ou au stagiaire. Il accueille le patient pour un entretien retransmis en télévision interne à l’équipe – quand le patient est d’accord, bien entendu – où il ne cherche nullement à mettre en lumière tel symptôme ou tel dysfonction-nement, mis en tensions par la rencontre. Grâce à sa capacité d’écoute, il met en lumière des aspects du fonctionnement du patient qui ouvrent à de nouvelles perspectives thérapeutiques, en reprenant le fil des hypothèses métapsychologiques sur lesquelles s’appuie son écoute. Florence Quartier met bien en évidence le poids de René Diatkine dans l’histoire des idées, en psychiatrie comme en psychanalyse, depuis la guerre. L’empreinte de René Diatkine est illustrée de façon éloquente par d’autres qui ne l’ont pas rencontré directement, tel Philippe Rey-Bellet en Suisse ou ceux qui ont travaillé avec lui à Paris, comme Claude Avram et Yves Manela qui exposent le parti tiré de son enseignement pour le développement des soins institutionnels. Dora Knauer revient sur la contribution de René Diatkine pour penser le parcours de l’entretien diagnostic à l’engagement thérapeutique ; il en soulignait in vivo la complexité, en lien avec la complexité de la psychopathologie et son caractère fugace et les effets contradictoires de la situation de consultation sur les différents protagonistes. Souci de ne pas réifier la théorie, de « se méfier des catégorisations oublieuses de la nécessaire mise en mouvement du psychisme du sujet en souffrance ». Alain Gibeault rappelle le rôle pionnier de René Diatkine dans l’invention du psychodrame analytique individuel. À partir de l’expérience qu’ils ont longtemps partagée, Gibeault développe une réflexion approfondie sur l’approche pour favoriser le développement du processus analytique, là où il apparaissait impossible ». Un court texte inédit de René Diatkine, Dépression et culpabilité au sujet du psychodrame, rédigé dans les années 1980, vient compléter ce chapitre.
Paul Denis trace alors un portrait émouvant et humoristique de cet homme « dont la vivacité contrastait avec une corpulence qui aurait fait s’attendre à quelque majestueuse lenteur », cet enfant d’émigrés russes qui se disait « né dans le métro », ce causeur brillant et prolixe, malgré un reste de bégaiement tonique, jamais totalement effacé, cet homme profondément marqué par le sort tragique fait aux malades mentaux hospitalisés sous l’occupation allemande. Il le dépeint « Impitoyable avec lui-même, il était sans indulgence pour les approximations théoriques et les évitements devant les éléments les plus saillants d’un matériel clinique… ».
L’ouvrage est complété par de riches interviews, dont celles de plusieurs « compagnons de route », tel René Henny, professeur à Lausanne et Colette Chiland. Madeleine Van Waeyenberghe, l’orthophoniste témoin de l’intérêt profond de René Diatkine pour le langage, rappelle qu’il a contribué au renouvellement de la formation des orthophonistes. C’est à un infirmier, Pierre Matthey que revient le dernier mot du livre : « Il n’amenait pas une parole de psychanalyste qui se tiendrait au-dessus de la mêlée. », « l’enseignement » de René Diatkine « était plutôt une réflexion en commun… ». Ces phrases résument parfaitement le sens et l’éthique de l’engagement de René Diatkine au service des patients, et dans lequel psychiatrie et psychanalyse sont indissociables.
Jacques Angelergues
Psychiatre, psychanalyste S.P.P.