Dans la dynamique de mes travaux sur « Corps et processus de création », je voudrais vous emmener à la rencontre de Rudolf Noureev, ce danseur étoile au destin exceptionnel dont nous gardons en mémoire d’insaisissables moments de Beau, voire de Sublime. Mais au-delà, la grande Histoire, en forgeant son histoire, allait le faire entrer de son vivant dans l’inconscient collectif. Une histoire dans laquelle, comme je l’ai développé dans mes recherches antérieures, le corps a constitué une voie d’élaboration comme de butée du trauma et des traumatismes que ce colloque permet de réinterroger à la lumière de la contrainte addictive. En effet, pendant plus de 20 ans, R. Noureev se produisit sur scène près de 250 fois par an, parfois jusqu’à 7 représentations par semaine, faisant de lui le « recordman » de sa catégorie. Un tel rythme ne pose-t-il pas la question du corps en représentation, comme objet d’investissement passionnel ? Mais aussi fort et démesuré qu’ait été cet investissement, il semble bien qu’il n’ait pas réussi à combler suffisamment le gouffre terrifiant des angoisses traumatiques, entraînant alors Rudolf Noureev, j’en fais l’hypothèse, dans une recherche effrénée, aliénante, addictive de sensations multiples pour se sentir vivant. Lui, qui ne se laissait qu’exceptionnellement aller à parler de lui, confia ainsi à un journaliste qui lui demandait ce qui était le plus difficile pour lui : « De vivre avec moi-même. Quand je travaille, je suis heureux. Mais entre deux engagements je m’écroule. Je m’effondre totalement. Je suis insupportable. Je deviens saoul. Je ne sais pas quoi faire de moi-même »1. Pensait-il au suicide ? « Chaque jour » répondit alors Rudolf. Danser, danser en repoussant chaque soir ses limites face à un public subjugué n’a-t-il pas pris alors valeur d’objet addictif, de dernier recours face à un besoin vital ?
En proposant…