Exposition : L’esprit du Bauhaus
Article

Exposition : L’esprit du Bauhaus

Musée des Arts Décoratifs
Jusqu’au 26 février 2017

A voir certaines réalisations architecturales de ce début du 21e siècle, la Philharmonie de Jean Nouvel, la Fondation Vuitton de Frank Gehry, le Musée des confluences à Lyon, on en vient à regretter le style du Bauhaus… Tant ces bâtiments, malgré leurs qualités incontestables, correspondent à une architecture monumentale, anecdotique et décorative qui perd de vue L’esprit du Bauhaus, celle de la simplicité et de la forme au service de la fonction. C’est dire que l’exposition du Musée des Arts Décoratifs est bienvenue et que le titre est bien choisi.

En 1919, à sa fondation à Weimar, la ville de Goethe et de Schiller, Gropius, directeur, en énonce l’esprit : « Voulons, concevons et créons ensemble la nouvelle construction de l’avenir, qui embrassera tout en une seule forme : architecture, art plastique et peinture ». Avec la montée du nazisme, en 1925, le Bauhaus déménage à Dessau dans un nouveau bâtiment entouré des maisons destinées aux « Meister », conçues par Marcel Breuer selon les principes de Gropius. En 1932, le Bauhaus quitte Dessau pour s’installer à Berlin, où le dernier directeur, Ludwig Mies Van der Rohe, doit se résoudre à fermer l’école en 1933. Les quatorze années d’existence du Bauhaus coïncident avec celles de la république de Weimar, tentative démocratique allemande coincée entre une monarchie autoritaire et un régime totalitaire.

Mais l’influence du Bauhaus persiste et s’étend après 1933, grâce à une diaspora artistique mondiale que les 1250 étudiants ainsi que les artistes, architectes et designers qui l’ont fréquenté ont ensuite continué à transmettre. Ainsi, un groupe d’étudiants ont construit de 1931 à 1956 près de 4000 bâtiments de style Bauhaus à Tel-Aviv, qui concentre le plus de bâtiments d'inspiration Bauhaus au monde. Le Bauhaus n’est pas seulement une école architecturale, mais une vaste aventure artistique, un « esprit » avec des visées humanistes, mêlant tous les arts, dans la suite des Arts and Crafts britanniques et les Wiener Werkstätte de Vienne, et dont l’esthétique a profondément et durablement marqué tout le 20e siècle, inspirant toujours les artistes et designers contemporains, comme en témoigne la dernière section de l’exposition.

Au Bauhaus, la pratique artistique est permanente et détermine entièrement la vie des étudiants et des enseignants. Il s’agit d’abolir la hiérarchie entre artistes et artisans, de promouvoir les correspondances synesthésiques entre les différents modes d’expression : lignes, formes, couleur, musique, danse. Pour réaliser cet ambitieux projet, l’école fait appel à des artistes d’avant-garde, qui ont chacun une forte personnalité.

Ainsi, Oskar Schlemmer, plasticien et chorégraphe, habille ses danseurs pour son fameux Ballet triadique, d’extraordinaires costumes abstraits, aux formes géométriques qu’on a pu voir récemment exposés au Centre Pompidou-Metz. Ces costumes participent à la réflexion des rapports homme/machine. Ils sont proches des futuristes et des constructivistes, en particulier le mouvement De Stijl de Mondrian et Van Doesburg, qui préconise la vérité structurelle et l'absence de sentimentalité. « L’être humain est autant un organisme de chair et de sang qu’un mécanisme fait de nombres et de mesures », dit Schlemmer.

C’est Oskar Schlemmer encore qui organisait avec ses élèves de l'atelier de théâtre, les nombreuses soirées mondaines qui faisaient la notoriété du Bauhaus. Dans cette ambiance festive permanente, il y a des mariages, des liaisons, et des enfants qui seront élevés au sein de l’école.

Quant aux femmes, bien qu’elles soient acceptées au Bauhaus plus largement que dans les autres écoles d’art, elles sont néanmoins orientées principalement vers les classes de tissage. Ainsi, Alma Buscher a dû se battre pour être intégrée dans l’atelier bois et sculpture, où elle réalise des chambres pour enfants tout à fait révolutionnaires composées d’ensembles modulables. Elle conçoit aussi des jouets selon des principes pédagogiques innovants à partir de cubes et autres morceaux de bois laissant une place primordiale à la créativité de l’enfant.

Mais les deux grands du Bauhaus sont Paul Klee et Kandinsky. Voisins à Dessau, de 1925 à 1933, collègues et amis, ils échangent, s’opposent et se complètent, dans une ambiance stimulante et conviviale. Ils prennent le thé ensemble et Felix, le fils de Klee, qui sera, à 14 ans, l’élève le plus jeune du Bauhaus, va en voisin chez les Kandinsky. L’esprit du Bauhaus a permis cette situation rare d’une amitié entre deux artistes majeurs. Echangeant au quotidien, ils s’influencent mutuellement : Klee se rapproche du constructivisme et Kandinsky assouplit son rigoureux vocabulaire plastique. Dialogue des œuvres autour du thème abstraction/figuration, où chacun transpose des motifs et des techniques identiques dans son propre langage.

Simone Korff-Sausse
psychanalyste SPP