Exposition : Anselm Kiefer
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Exposition : Anselm Kiefer

Anselm Kiefer
Centre Georges Pompidou, Paris. 18 avril 2016.

Anselm Kiefer
L’alchimie du livre

BNF, Site François Mitterand, Paris. jusqu’au 7 février 2016.

Né en 1945, aux derniers jours de la guerre – on dit que sa mère a accouché dans le sous-sol de la clinique à cause des bombardements – élevé dans les ruines de l’Allemagne post-nazie, hanté par la responsabilité du peuple allemand qu’il endosse à sa manière, Anselm Kiefer a produit une œuvre époustouflante que l’on peut voir actuellement dans deux lieux parisiens.

L’artiste renoue avec la tradition de la peinture d’Histoire, pour tenter de répondre à la question cruciale : comment être un artiste allemand après l’Holocauste ? Jeune, il explore cette question par un geste provocateur : se photographier dans différents endroits revêtu de l’uniforme de la Wehrmacht de son père et parodiant le salut hitlérien. Evidemment, cela a fait scandale. Pour comprendre, Anselm Kiefer, très érudit, fréquente les poètes, lit les philosophes, s’intéresse aux grandes mythologies, les mystiques, la kabale. Il se veut alchimiste, d’où sa fascination pour le plomb (il a racheté les plaques de plomb de la cathédrale de Cologne lors de sa réfection),  matière grise et mélancolique, qui se prête aux métamorphoses que Kiefer, avec une ambition presque grandiose, mélangeant le microcosme et le macrocosme, veut imprimer au monde.

On est fasciné et impressionné par l’envergure de cet artiste. Est-ce qu’une seule tête peut contenir autant d’idées ? Est-ce qu’une seule vie suffit à produire tant d’œuvres ? Sa dimension, c’est la démesure. Chez lui tout est grand : les toiles immenses, les épaisses couches de peinture grumeleuse, les livres exposés à la BNF trop lourds et trop grands pour être manipulés, son atelier de Barjol, vaste domaine dans le Gard, où Kiefer a tracé des routes, élevé des constructions, creusé des tunnels, fait des plantations. Il cultive des tournesols géants afin de recueillir les graines qui parsèment certaines toiles. Il entrepose des quantités d’objets dans des containers où ils poursuivent leur vie, attendant d’être utilisés dans une œuvre. Il y a, à Beaubourg, une étonnante salle de grandes vitrines spécialement réalisées pour l’exposition contenant toutes sortes d’objets choisis par l’artiste dans ces entrepôts.

Aucun peintre (sauf Tapiés peut-être, autre artiste nourri de spiritualité) ne rend mieux compte du lien entre la matière et l’esprit. Ici le verbe se fait chair, au moyen de la peinture, que Kiefer continue de pratiquer de manière figurative. Mais tout comme Paul Celan, poète très important pour Kiefer, refonde la langue allemande malgré Adorno, Kiefer continue d’utiliser la peinture, en la renouvelant. A la matière picturale, il rajoute des éléments naturels, sable, argile, plantes, fleurs, branches, fougères, cheveux. Il écrit sur les tableaux. Il colle des objets. L’œuvre est bien plus qu’un tableau. Des ruines immenses s’écroulent, des poussières d’étoiles couvrent le ciel, les arbres scintillent, les chemins se creusent, l’horizon s’étend à l’infini, la terre est labourée de sillons, striée par des lignes qui évoquent les tranchées de la première guerre, parcourue de rails qui pourraient être ceux des trains de la déportation.

C’est un monde tragique, mais la force créatrice, la puissance poétique, l’intelligence et la beauté des œuvres sont telles, que ce n’est jamais désespéré. Depuis quelques années, apparaissent des couleurs, des fleurs, des aquarelles de femmes érotiques à la Rodin, jaillissant comme des flammes, transformation ultime des cendres.

Simone Korff-Sausse
Psychanalyste, SPP