Jeux de construction et de démolition : du bébé à l’adolescent… et au-delà
Dossier

Jeux de construction et de démolition : du bébé à l’adolescent… et au-delà

« Il existe un impératif à utiliser les objets qui permettent d’articuler et, partir de là de révéler le vrai self. J’appelle cet impératif la « pulsion de la destinée ».
Christopher Bollas, Les forces de la destinée, éd. Calman Levy, 1989, p.36

 

Je vais organiser mon propos autour d’une séquence que nous avons tous en mémoire. Il ne s’agit pas forcément d’une mémoire de notre expérience directe, bien que nous en ayons tous l’expérience personnelle inscrite, mais c’est une scène dont nous avons tous été témoins avec nos enfants, ceux des autres, ceux de la crèche…, une sorte d’expérience fondatrice : un bébé construit une tour de cubes, patiemment avec beaucoup de concentration pour rechercher le point d’équilibre… et ensuite il la démolit ! Pour recommencer inlassablement… S’il a 9 ou 10 mois la tour a 2 cubes, s’il a 18 mois elle en a 15, mais le but du jeu semble le même : instituer pour destituer.

Dans l’étymologie d’instituer, statuare, on retrouve la racine de « statue », et évidemment d’« institution », dont Pierre Delion nous parlera. Cette tour de cubes, statue inlassablement détruite et reconstruite, va me servir de point d’ancrage et je vais en explorer l’amont et l’aval (je m’intéresse ici à la fonction essentielle du cube « basique », ni chantant, ni parlant, ni lumineux, ni puzzle, ni alphabet…ni rubik’s cube !) Je vais vous proposer une réflexion sur :

  • la nature de l’expérience intérieure de l’enfant et ce qu’il construit à partir d’elle ?
  • les conséquences des diverses modalités de cette expérience et en particulier de ses entraves ?

1 – Les caractéristiques de la séquence

Si l’on regarde avec attention cette séquence, qui possède toutes les caractéristiques du jeu chez le tout petit, on est frappé par l’extrême concentration de l’enfant : c’est avant tout une expérience de « construction » de ses hypothèses sur l’état du monde, un vrai travail de chercheur qui fait varier les caractéristiques qu’il cherche à étudier : pour comprendre ce qui fait tenir la tour, il faut la faire tomber et recommencer.

• A partir de 9-10 mois, le bébé va réussir à empiler 2 cubes presque par hasard, avec étonnement que cela tienne, et que cela soit une construction et non un simple assemblage. En cela c’est une différence essentielle avec ce qui a précédé : mettre des objets l’un dans l’autre ou l’un sur l’autre par exemple. En outre, il s’agit d’une expérience qui a lieu sur la scène extérieure : lorsque le bébé cherche à prendre un objet dans sa main, le mettre à la bouche, le passer d’une main à l’autre, le changer de place… etc., il s’agit d’une expérience qui a lieu par rapport à lui-même, auto-centrée pourrait-on dire. Dans la construction d’une tour, il s’agit d’une création sur la scène extérieure. Cela s’accompagne le plus souvent d’un regard vers l’adulte, pour s’assurer que cet exploit est bien vu : « tu as vu ce que j’ai réussi à faire ? », semble dire le bébé. Cette scène extérieure est partageable avec un partenaire, qui regarde cette création : le bébé crédite l’autre du même intérêt pour ce processus. D’une certaine façon, on pourrait être intéressé par cette création, en tant que résultat de l’action du bébé, mais sans forcément regarder le bébé ou être intéressé par lui : c’est d’un partage intellectuel qu’il s’agit. Cela témoigne de la capacité de fabriquer et d’utiliser des symboles, rendue possible par ce que les chercheurs (Rochat1, Tomasello2) ont appelé « la révolution des 9 mois ».

• La véritable jubilation que l’on observe lorsqu’il réussit à faire « tenir » 2 cubes l’un sur l’autre (il a fallu pour cela que l’un tombe accidentellement plusieurs fois) concerne 2 exploits en même temps : non seulement la maîtrise de la loi de la pesanteur mais également l’ouverture d’un champ symbolique. Cette jubilation constitue la suite de celle que le bébé a manifestée lorsque, porté dans les bras d’un adulte sécurisant qui tourne et danse, il rit aux éclats dans l’excitation de la victoire sur la sensation de chute. C’est une expérience vécue, préfigurant la tour, où l’adulte serait le cube de base, et le bébé le cube porté : la tour est une expérience conceptuelle qui permet l’élaboration de ces expériences inter- relationnelles.

Voici une petite séquence d’observation d’un autre maillon intermédiaire préparant la conceptualisation : le bébé, une petite fille de 9 mois, me fait face, debout sur les genoux de sa mère. C’est la première fois qu’elle me voit, elle semble un peu méfiante, hésitant entre la curiosité et les pleurs. Ses jambes se dérobent sous elle, une chute évitée bien sûr par la tenue de la maman. Face à elle je fais le même mouvement de chute en disant : « boum ! ». Elle éclate de rire, et recommence, cette fois-ci en pliant volontairement les genoux pour m’inciter à reproduire son mouvement, ce qu’elle ponctue de son rire « en cascade ».

L’universalité de ce rire, quand quelqu’un tombe est frappante… et cela commence très tôt : je propose l’hypothèse que le rire lui-même, ce rire « qui éclate » ou rire « en cascade », est la reproduction corporelle intérieure, dans le jeu de gorge, du jeu de chuter/rattraper : un jeu de la tour, incarné et préparant l’intériorisation et la symbolisation.

• À ce moment de son développement, le bébé construit une verticalité : ces jeux sont contemporains de la position assise, (je parle de la position assise intégrée, celle que l’enfant atteint tout seul en ayant la possibilité d’y être suffisamment à l’aise pour utiliser ses mains et ne pas concentrer toute son énergie à se tenir, quasi contemporaine donc de la mise debout). À la différence des jeux de bascule dans la position couchée, des passages de position dorsale à ventrale, etc., l’appui ici est intérieur : le bébé construit son équilibre de façon interne en développant une conscience du processus et un intérêt pour ce processus. Il ne s’agit plus seulement de trouver une sécurité dans le portage et dans les appuis, mais de se tenir et de trouver son équilibre intérieur. Le bébé fait l’expérience de se mettre debout en se tenant à un appui, de vaciller ou de tomber, de recommencer. Il se livre à de véritables expériences, en s’entraînant à baisser son centre de gravité pour retrouver son équilibre et à modifier ses appuis extérieurs dans la recherche de stabilité, puis ultérieurement à lâcher son appui externe pour prendre conscience de son appui interne. Précédant de peu ce jeu de la « tour infernale », l’enfant a développé une certaine expérience de l’action de « faire tomber » activement : il a exploré inlassablement le fait de faire tomber des objets du haut de sa chaise haute, observant leur chute et attendant qu’on les lui ramène…(et attendant manifestement le même enthousiasme partagé par son partenaire… qui, il faut bien le dire, va se lasser beaucoup plus vite que lui).

• Le jeu de la tour qui tient et que le bébé fait tomber est un jeu sur le principe même de la tenue, et l’appropriation subjective de ce principe : on peut penser qu’il s’agit d’un des jeux fondamentaux où, à la fois, se manifestent et se construisent la confiance dans ses objets internes et ses propres capacités, et la confiance dans un monde susceptible de résister à la destruction.

Voici ce que dit Winnicott de la construction de cette confiance : « Le fondement d’une structure psychique saine et stable est certainement à rapporter à la fiabilité de la mère interne. Mais cette capacité est elle-même soutenue par l’individu. Il est vrai que les gens passent leur vie à porter le réverbère sur lequel ils s’appuient, mais quelque part au commencement, il doit y avoir un réverbère qui tient tout seul. Sinon il n’y a pas d’introjection de la fiabilité3. » Il y a ainsi, dès le début, une mère-réverbère qui tient le bébé, qui le porte, et qui ensuite deviendra le réverbère interne sur lequel le sujet s’appuiera. La tour de cube est une des modalités de construction de la fiabilité de la mère interne. Cela passe par le fait d’en éprouver la solidité, en la détruisant pour la reconstruire.

• Je voudrais rappeler que ce jeu d’alternance, instituer/destituer, est le plus ancien dans notre origine. Il y a maintenant un consensus dans les recherches développementales pour considérer « qu’il y a une continuité comportementale dans le développement pré et post natal4 » et que le milieu intra-utérin est déjà une source d’expériences riches qui vont se poursuivre après la naissance.

Ce que j’ai proposé d’appeler tenu/lâché, constitue une première forme sur laquelle va s’étayer tout le développement ultérieur. Très précocement, à 11 semaines de développement, l’embryon va transformer son premier réflexe d’éloignement de la source de contact, efficient d’abord dans la zone péri-buccale vers 8 semaines, en une recherche de ce contact, de plus en plus active. Il va dès lors organiser son monde dans des activités de tenu/lâché, en utilisant toutes les ressources de moyens des sens, au fur et à mesure de leur développement.

Cette expérience d’alternance de mouvements contraires, dès le début dans le tenu/lâché, est indissociable de la construction de la vie : ce qui permet de lâcher est la croyance qu’on va retrouver ; lâcher fonde le désir de retrouver, d’aller vers ce qui a manqué, et constitue donc l’expression de la confiance et de l’espoir en soi et dans le monde.

2 – Le rôle transformationnel de l’objet

« La confiance n’est pas la crédulité. Elle implique, dans l’accordage des psychés, la continuité d’être de la présence et de l’amour au-delà de la séparation, la résistance aux mouvements de destructivité, la redondance et la prévisibilité. Elle exige la parole fiable sur le monde, sur les autres et sur soi-même, et c’est là une des fonctions majeures des parents.5 », dit René Kaës.

Ce que Bollas appelle l’objet transformationnel, va permettre à l’enfant de faire cette création interne, à partir de toutes les expériences incarnées dans la réalité, et dans le corps6. « La manière dont la mère tient l’enfant, dont elle le nourrit, le baigne ou l’habille, le transforme. Ces actions de la mère sur le corps de l’enfant sont vitales et constituent les fondements de la relation somatique. En chacun de nous, il y a une mémoire somatique relative aux soins maternels7 ». Dans les conditions optimales, les mamans jouent ce rôle d’objet transformationnel, depuis le début. Lorsque le bébé mord leur joue (et d’abord, leur sein !), elles ont bien conscience de la violence de la poussée pour prendre, et elles vont l’aider à transformer ce mouvement d’élan… en bisou.

« Un “objet transformationnel” est identifié par l’enfant à partir de ce qu’il éprouve comme ce qui modifie l’expérience du self » dit Bollas8, dans une pensée au croisement de Winnicott et Bion. La mère reçoit/perçoit la force du mouvement pulsionnel dont elle constitue le but, (la prendre, la manger, la mordre …) et la transforme en mouvement tendre.

Dans les thérapies mère-bébé, où bien souvent nous aidons les bébés et leurs parents à récupérer ces premiers niveaux des expériences transformationnelles, je m’appuie beaucoup sur :

  • les jeux de balle qui supposent, pour découvrir le plaisir de l’échange,… de lâcher la balle. Le fait qu’on va la lui rendre, et qu’on va graduer le temps où on la garde, avant de la lui rendre, en fonction de la capacité du bébé à supporter de l’avoir lâchée, permet au bébé de construire une confiance dans le monde : au début le bébé est « mauvais perdant » (… certains le restent) ; il va devoir apprivoiser le fait de perdre la balle, en ayant la compensation du plaisir du jeu partagé.
  • Plus tôt, contemporaine de l’âge du hochet, la castagnette est un précurseur du jeu de balle : pour en découvrir le plaisir spécifique, il faut dans la même main à la fois tenir suffisamment pour que l’objet ne tombe pas, mais aussi lâcher pour que les 2 ailettes s’ouvrent, et les resserrer-tenir assez fort pour produire un son.

En thérapie avec les enfants « intenables », comment ne pas confondre l’apparence et le sens sous-jacent ou prendre l’effet pour la cause ? Ce n’est pas le cadre (du côté des psy) ou les limites (du côté éducatif) qu’il va falloir établir ou rétablir, c’est la confiance, en soi et en l’autre, que le cadre et les limites permettront de reconstruire.

– Je démarre la thérapie avec Vaillant, paradoxalement en refusant l’acceptation du père, d’une thérapie « pour voir ». J’explique aux parents que commencer pour arrêter c’est pire que de ne rien faire, car cela représente une trahison d’emblée ; je leur demande de me rappeler quand ils pourront s’engager et « tenir » le temps nécessaire.

Vaillant m’explique que « il ne joue pas aux jouets, seulement au ballon ». Il lui faut du réel, et s’y agripper, et ses jeux avec la balle en mousse, qui fait partie de son matériel, sont des jeux d’attaque, pour comme il dit « dégommer », c’est-à-dire détruire, casser, effacer. L’interpréter comme « attaques du cadre », ne ferait que le laisser dans la solitude d’une pure destructivité.

Je le comprends comme une mise en scène de son monde interne ; au fur et à mesure de nos séances, je vais transformer ce jeu en une exploration de toutes les possibilités d’ajustement des tenu/lâcher que je commente dans les allers-retours de la balle entre nous. Il découvrira le plaisir du jeu, en jouant inlassablement à cache-cache avec la balle, puis il lâchera ses agrippements au sensoriel en pouvant fermer les yeux pour me laisser cacher la balle ; à l’école il cessera d’être décrit comme « le flic de l’école », qui dénonçait le moindre changement, qu’il percevait avec une acuité extrême comme un signe de trahison. Il va construire une confiance interne et, en trouvant une paix intérieure, pourra pacifier ses comportements extérieurs.

• La mission parentale est bien de « tenir », sans se sentir menacé de désintégration : tenir quand le bébé mord la joue de sa maman, et transformer la morsure en bisous ; tenir et « comprendre « (cela dit presque la même chose), quand l’enfant qui ne sait comment « entrer en contact » avec l’objet… lui rentre dedans concrètement. (Le vocabulaire courant peut nous aider : « rentrer en contact », « il me cherche ! »)… il s’agit de comprendre le besoin de rentrer dedans, c’est-à-dire le besoin d’une contenance, et d’un conteneur, et lui faciliter les moyens d’accès. Tenir, suppose pour les parents de ne pas se sentir menacé ou détruit quand le petit dit que « maman est méchante » ou qu’il veut « changer de parents ».

La tour doit posséder des qualités internes d’équilibre et la capacité d’être reconstruite. Cela peut s’avérer particulièrement difficile pour les parents…et c’est fait pour ça, éprouver leur solidité à travers des manœuvres destructrices !

« Mes parents sont des cons et je les déteste », écrit cette ado en crise au marqueur indélébile sur la nouvelle chambre fraichement repeinte par son père. Défaire les liens … pour vérifier la capacité de les retisser, à la fois du côté de l’ado et du côté des parents : à ce moment l’ado ne sait pas qu’il refait l’expérience de la tour de cubes…. et ses parents non plus ! C’est pour cela que nous sommes là ! c’est pour cela que je reçois les parents des ados, seuls le plus souvent, pour me préoccuper de comment les aider « à tenir la longueur » et permettre que l’expérience se déroule dans sa totalité : instituer-destituer-réinstituer. Comment les aider à « tenir le coup », à ne pas s’engager à 300% dans des actions éducatives à la portée limitée, ou ayant des effets paradoxaux… et qui de plus vont les épuiser : je trouve que revisiter la tour de cubes les aide bien souvent à revoir le bébé sous l’ado en éruption volcanique, et les aide à concevoir le même cycle… en plus long !

3 – Lorsque le processus psychique de la tour institué/destitué, est entravé : « y’a d’l’abus ! »

Ivan Jablonka dans son remarquable travail d’historien sur ce fait divers terrible, l’assassinat de cette jeune fille retrouvée démembrée en 2011, reconstitue l’enfance fracassée de Laetitia (violence parentale, placements multiples, abus par le père dans la famille d’accueil…). Il donne ce témoignage d’un souvenir évoqué par sa sœur jumelle :

« Laetitia n’a rien pu construire : on l’en a systématiquement empêchée. Les bébés aiment renverser les cubes multicolores qu’on empile devant eux. Dans le cas de Laetitia, ce sont les adultes qui détruisaient la petite tour. Chaque fois ils s’ingéniaient à faire table rase. A la fin, il n’y avait toujours rien debout, et Laetitia a abandonné. Bébé, elle a perdu du poids, restreint son attention, dormi de plus en plus ; elle s’est retirée du non-sens où elle ne trouvait aucune place9 ». Le tableau décrit peut se comprendre comme un retrait dépressif grave, une perte de confiance, ou plus exactement l’entrave dans la construction de la confiance, et la destruction du concept même de confiance. Il s’agit d’une expérience vécue d’abus, bien avant qu’il ne soit sexuel : un abus de confiance préparant le terrain pour les abus sexuels ultérieurs. Le mouvement du bébé est détourné, l’adulte se l’approprie et seul demeure le sens de destruction. En résulte pour le bébé un sentiment d’inutilité de ses actes et de ses tentatives pour comprendre-construire le monde, un détournement du sens en son contraire, et un désespoir profond.

Je me situe dans une version précoce de ce que Kaës appelle « anthropophagie morale10 » où il s’agit de « dévorer les idées et les pensées de l’autre pour s’emparer de sa force… ».

Si nous revisitons les exemples donnés plus haut : qu’en serait-il d’un bébé porté dans les bras, riant aux éclats… et jeté par terre ? D’un bébé qui mord la joue de sa maman… et est mordu en retour ? Du jeu de faire tomber les objets de la chaise haute… qui serait compris comme agressif ou destructeur et puni ou interdit, par exemple, par la disparition de l’objet ? (« Tu n’en veux pas ? Je te l’enlève » !).

• Je voudrais vous inviter à réfléchir au sens d’actes qui peuvent sembler anodins et qui représentent des véritables « meurtres d’âme », des situations d’intrusion dans l’espace psychique de l’autre pour s’en emparer, le détourner de son intention, en abuser11.

Geneviève Haag a analysé les effets toxiques pour la construction des jonctions primitives, fondatrices de l’identité, de l’empêchement du suçage du pouce, première activité autonome organisatrice du bébé.

On voit également des empêchements plus subtils, par exemple en substituant un objet à celui saisi par l’enfant, ou encore en entravant sa motricité par un objet censé l’aider (les youpala par exemple, et bon nombre d’objets pervertissant l’activité du bébé et détournant profondément le sens de ses expériences et des conclusions qu’il peut tirer de ses actions)12.

Nous sommes au cœur de la violence psychique, la substitution d’un objet à un autre et d’une expérience à une autre, ont pour conséquence que l’expérience est impossible à intérioriser comme sienne et s’approprier ; elle n’appartient plus au sujet et reste comme une modalité de la colonisation de l’autre, une empreinte troublant profondément l’inscription identitaire et la construction des limites.

Ainsi, Jonathan dans un désêtre profond, ne sait plus qui il est, ni à qui appartiennent les actes qu’il fait : à lui ou à sa mère. Ses actes d’opposition adolescente, à lui, la détruisent, elle, dans des explosions caractérielles d’allure psychotique ; ses interdits, à elle, deviennent des infiltrations dans l’intimité de Jonathan, lorsqu’elle exige par exemple des photos du sandwich qu’il achète à midi pour être sûre qu’il n’achète pas de cigarettes avec l’argent donné pour le repas. Toute la construction identitaire de l’adolescent est pervertie ; derrière ce jeu d’apparence sadomasochiste, se cache un vide, un désespoir massif, une non-existence.

Pour conclure

Je vais à nouveau donner la parole à Bollas : « Je crois que nous avons un sens du self qui existe à l’intérieur d’une illusion de l’intégration : une illusion essentielle pour notre mode d’être dans la vie.13. Comment travaillerons-nous au développement de cette illusion de l’intégration vitale et salvatrice, dans un monde dont les repères identitaires profondément modifiés renvoient de la désintégration et ne constituent plus un étayage : c’est un enjeu terriblement important pour les cliniciens et éducateurs de demain et d’aujourd’hui …qui sont eux-mêmes partie prenante de ce monde.

Notes

  1. Philippe Rochat, Le monde des bébés, O. Jacob, 2006
  2. Michael Tomasello, Aux origines de la cognition humaine, Retz 2004
  3. À propos du concept de la fiabilité de la mère interne, Winnicott écrit à D. Meltzer ; Lettre à Donald Meltzer. 25 octobre 1966. In Lettres vives, trad. Fr., Paris, Gallimard, 1989, p. 216-217.
  4. Philippe Rochat, Le monde des bébés, O. Jacob, 2006, p. 228.
  5. René Kaes : Le Malêtre, Dunod, 2012, p.266
  6. Dans son œuvre, Bollas s’intéresse aux expériences transformatrices tout au long de notre vie, avec les objets qui, à la fois, sont le support sur lequel nous exerçons, exprimons ce que nous sommes, mais également nous modifient : nous avons tous l’expérience de la rencontre déterminante avec des personnes, mais nous sommes moins familiers à parler de la rencontre avec des objets qui nous modifient: des livres, des situations, des lieux, des paysages, des spectacles, ainsi que de la rencontre avec des expériences transformatrices et transformationnelles.
  7. Doris-Louise Haineault, « Un certain regard sur la psychanalyse. Rencontre avec Christopher Bollas », Filigrane, vol. 6, n°2, 1997, p. 102-112.
  8. Christopher Bollas, « L’objet transformationnel », Rev. franç. Psychanal., 4/1989, p.1182.
  9. Ivan Jablonka, Laetitia ou la fin des hommes, Le Seuil, 2016.
  10. René Kaes : p. 152.
  11. L’expression « meurtre d’âme », empruntée au délire du président Schreber analysé par S.Freud, peut être mise en rapport avec le « terrorisme éducatif » dont il avait été l’objet de la part de son père. Daniel Gottlieb Moritz Schreber, médecin célèbre, avait écrit un traité d’éducation pour corriger l’enfant, mauvais de naissance selon lui. Les appareils orthopédiques qu’il avait conçus pour le dresser, sont de véritables appareils de torture.)
  12. Les travaux menés à Loczy ont permis une réflexion poussée sur ce thème et l’importance de « se mouvoir en liberté dés le premier âge ». Pikler Lóczy-France, 26 bd Brune, 75014 Paris.
  13. Bollas interviewed bv Anthonv Molino in « the vitality of objects » p.179 « My belief is that we have a sense of self that exists within an illusion of integration : an illusion essential to our way of life. Even those who see themselves as radical deconstructivists cannot, and do not live a life without that illusion », traduction personnelle.
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Destructivité et exaltation