Tous les étés, je repartais avec ma grand-mère en Ligurie. Il fallait « changer d’air » : de Toulon à Porto Maurizio. De la porte de la Côte d’Azur, au début de la Riviera dei Fiori ! Nous partions anxieux mais forts de victuailles. Elle nourrissait tout le compartiment. Pour mes cousins d’Italie, nous apportions des bananes, du sucre et du chocolat. Le train toussetait, crachotait, ronflait et partait vers l’Est. Son panache de fumée penchait souvent à contre-sens, car le mistral était le plus fort.
Commençait alors pour moi, accroché à la fenêtre (pericoloso sporgersi) le déroulé splendide de la côte miroitante sous la Méditerranée irisée. Frejus, puis le rouge de l’Esterel en contre-point du bleu de la mer. Nizza la bella, Monaco si villageoise à l’époque, enfin Menton et ses citronniers. Nous passions alors la frontière, émus d’être surpris par les douaniers et privés de chocolat. Vintimiglia (encore 20000 pas pour Rome), San Remo et ses chansonnettes (Volare, oh,oh, Cantare, oh, oh, oh), les collines étaient à partir de la frontière, couvertes de serres d’oeillets. Les pêcheurs, à ce moment du voyage, profitaient tous du vent de terre qui les tractait vers le large. La nuit, le vent de mer les ramènera au port avec les bateaux remplis jusqu’au plat bord. Je pleurais, à cause des escarbilles mais je disais à ma grand-mère, au crépuscule qui précédait notre arrivée à Imperia que j’étais triste de voir des maisons s’éclairer et de ne jamais rencontrer les enfants qui y habitaient. C’est peut-être comme ça qu’on devient pédopsychiatre.