Poursuivant depuis quelques années, après avoir partagé avec elle la création de notre Association, la responsabilité portée à l’origine par Rosine Debray, Professeur de psychologie clinique à Paris Descartes et psychanalyste, j’ai le plaisir d’introduire cette 9ème journée intitulée Regards cliniques sur les troubles dits « instrumentaux ». Ces journées sur l’examen psychologique de l’enfant et de l’adolescent qui nous réunissent très nombreux au mois de mars depuis maintenant une dizaine d’années constituent le fruit du travail remarquable d’un petit groupe de psychologues cliniciens et psychanalystes qui sont tous engagés également dans l’enseignement universitaire, et partagent de ce fait le désir d’enseigner et de défendre une pratique du bilan psychologique ancrée dans la conception psychanalytique du fonctionnement psychique. Ces journées s’inscrivent dans cette visée et nous permettent à partir d’une position commune d’élargir nos échanges avec des intervenants de formations diverses et avec le public qui y assiste. Cette position, dans le bilan psychologique, donne sa place au sujet et rassemble des données diverses, éparses – l’entretien, la rencontre avec les parents, les résultats des différentes épreuves, analysés qualitativement après avoir pris en compte les aspects quantitatifs – pour construire la représentation globale d’un psychisme généralement souffrant, ancré dans un corps lui-même parfois en difficulté. La théorie psychanalytique nous permet de réunir et mettre en perspective les points de vue divers offerts par les temps des rencontres et par les outils proposés, éclairés dans chaque situation par le prisme du jeu transféro-contretransférentiel. Les thèmes choisis, au fil des ans, reflètent les préoccupations de la clinique de l’enfant et de l’adolescent, le bilan psychologique servant d’outil pour tenter de répondre aux questions qui se posent dans ce domaine. Le thème des troubles instrumentaux, dont la terminologie s’inscrit dans une perspective éloignée du champ de la psychopathologie psychanalytique est, de ce fait même, apte à nous montrer la manière dont peut s’opérer, à partir de cette perspective, une approche holistique du sujet, qui tout en prenant en compte ses difficultés spécifiques – en l’occurrence ses difficultés dites « instrumentales » – cherche à les appréhender en les articulant avec l’ensemble des composantes de la personnalité.
Nous avons choisi, ce qui peut sembler paradoxal pour des cliniciens d’orientation psychanalytique, de consacrer deux journées successives à l’exploration de deux versants de ces troubles : le registre du corps (dyspraxie, difficultés d’écriture) et celui des troubles du langage. C’est une gageure que d’appliquer à ce qui est considéré comme trouble d’ordre purement physiologique ou neurologique par certains une méthode d’approche qui permette tout à la fois de ne pas négliger les manifestations issues de ces domaines et d’inscrire ces manifestations (dénuées de sens ou symptômes, la question reste chaque fois à élucider, mais dont les effets retentissent toujours sur le fonctionnement psychique) dans la compréhension de l’ensemble de la personnalité. Le bilan psychologique, quelle que soit la théorie du sujet qui sous-tend son interprétation n’est pas un outil magique : il ne peut pas tout dévoiler, et c’est sans doute heureux car l’être humain a besoin de garder une part de lui-même irréductible à la compréhension par l’autre, mais il offre, lorsqu’il est conduit à partir d’un point de vue ouvert sur la rigueur d’application des tests et sur la souplesse de l’écoute clinique et des associations entre données multiples, une approche ouverte à la multiplicité des sens, à la diversité des perspectives. Entendu ainsi, il permet les échanges inter-disciplinaires dans la recherche du diagnostic et des propositions de prises en charge. Le texte de Marie-Alice Du Pasquier, centré sur les difficultés d’écriture de l’enfant les resitue de manière érudite à partir de l’étude de la lettre, du côté de la symbolisation, sans oublier de les associer à l’ancrage corporel, via le geste. Les troubles qui se manifestent dans ce domaine sont à entendre, selon elle, comme témoignage de très anciennes difficultés de séparation, et s’inscrivent bien souvent dans le registre des troubles limites de l’enfance.
A partir de la présentation riche et vivante d’un cas clinique, effectuée par Geneviève Djenati, la discussion menée sur le cas par Estelle Louët rend compte de la richesse des réseaux associatifs qui se déploient à partir des données du bilan et évoquent la nécessaire référence à la psychopathologie psychanalytique pour tirer parti de cette richesse. Pour autant, tout n’est pas épuisé avec une étiquette et les échanges nous montrent tout au contraire qu’il faut nous garder d’utiliser la psychopathologie pour clore les discussions au lieu de les poursuivre de manière dynamique : chez l’enfant tout particulièrement il s’agit dans la rencontre clinique d’appréhender un sujet souffrant avec ses richesses et ses limites et non de définir une entité nosographique. Chez l’être humain, le corps est pris d’emblée dans le jeu de la sexualité infantile, soumis à la poussée pulsionnelle incessante, et dans la construction du lien avec l’objet. Les textes ont le mérite d’éclairer les vicissitudes inhérentes à ce double registre et ouvrent sur des réflexions en termes psychopathologiques sur le registre du narcissisme et sur celui des relations d’objets, au décours des difficultés d’intégration des pulsions sexuelles et agressives, des défauts d’individuation et des défaillances dans le processus de séparation.
La question du symptôme (en est-ce toujours un dans le domaine de ces troubles ? et quel en est le sens ?) reste ouverte à une poursuite fructueuse des discussions.
Cette confrontation des perspectives entre psychologues et pédopsychiatres, psychanalystes ou psychomotriciens, praticiens du bilan et non praticiens de cet outil, aboutit à des échanges d’une grande richesse et permet à chacun de penser toujours un peu autrement les données cliniques qui sont offertes à la réflexion. Le sujet est, dans ces échanges, toujours mieux compris dans sa spécificité unique, toujours moins « flouté » – pour reprendre le terme concernant l’anonymisation des personnes dans les documents visuels – par l’étiquette correspondant au symptôme ou aux manifestations comportementales pour lesquelles il vient consulter.