Nous vivons dans une société où les représentations en image deviennent des repères incontournables. Ces re-pères n’en sont pourtant pas tout à fait. Il ne s’agit pas d’images qui, tels les commandements divins, sont d’ordre surmoïque mais plutôt d’exigences idéatoires. Notre société faite d’images propose des images qui donnent à voir ce que l’on peut avoir.
Enfants hyperactifs, troubles du comportement violents, enfants carencés, ce sont ces enfants que nous recevons au CMP de Pantin. Issus de milieux socioéconomiques souvent défavorisés, la télévision trône pourtant au milieu du salon. Elle permet souvent d’ouvrir une fenêtre idéalisante sur une atmosphère lourde de pauvreté. Ne soyons pas non plus trop misérabilistes car certains enfants issus de milieux bourgeois et/ou intellectuels ramènent aussi ce type d’enfants. Pour d’autres raisons, ces parents sont pris dans leurs propres failles narcissiques et font de leur progéniture des champions de leurs luttes anti-dépressives avec des idéaux souvent inatteignables et renforcent ces mêmes enfants dans le sentiment de ne pas être à la hauteur.
Ce qui est intriguant chez beaucoup de ces enfants que nous recevons, signe de leurs pathologies, c’est leur non-plaisir à jouer pour jouer. Le jeu est envisagé surtout du côté de l’enjeu : perdre ou gagner. Enjeux narcissiques à nouveau, un de mes buts thérapeutiques est de les aider à retrouver le plaisir du “comme si”. Défaut de symbolisation, ils ne perçoivent souvent les autres, à savoir, pour ce qui nous intéresse, les images, qu’en termes de beau ou pas beau ou ne peuvent non plus envisager de reconnaître des affects à tonalité dépressive.
Le jeu vidéo va servir notre cause. À savoir redonner une part active face à cette trop grande passivité due à une trop forte idéalisation des images. Le jeu vidéo est fait d’images dans lesquelles on peut jouer.
La plupart de ces enfants ont le fantasme que les images prennent corps, ou inversement ils ont souvent le désir de rentrer dans ces images. Être à côté de leurs héros préférés avec lesquels ils peuvent partager leurs aventures. Le jeu vidéo, avec l’apparition de la troisième dimension, le permet. Le jeu à la première personne redonne quelque chose de l’illusion créatrice de “sauver” le monde. Réparer cet autre, souvent la mère, par image interposée. On peut aussi entrevoir le jeu vidéo comme une mise en scène de son ambivalence, par le contexte souvent guerrier dans lequel les joueurs s’immergent.
Le jeu vidéo va fonctionner comme un antidépresseur virtuel par l’émergence de pulsions sadiques anales, le joueur étant toutefois porté par une narration, à savoir l’histoire proposée par le jeu. Face à l’effondrement, le sadisme et/ou le masochisme restent du côté des pulsions gardiennes de la vie.
De plus, le jeu vidéo, par l’incarnation de l’avatar (double virtuel visible à l’image), va permettre au joueur de ne pas incarner n’importe qui. Il s’agit en général de figures héroïques qui, dans un sentiment d’élation narcissique, va, par des processus d’identification primaire, faire du joueur le metteur en scène et en même temps le spectateur du spectacle qu’il met en scène.
Mais ce qui est sûrement le plus fascinant dans les jeux vidéo est cet autre virtuel que l’on nomme, à tort, l’intelligence artificielle. Il s’agit en effet d’une illusion d’intelligence artificielle, qui fait que, lorsque vous jouez seul, les ennemis ont été programmés pour vous empêcher d’être dans le “tout, tout de suite”. Ces personnages programmés qui sont en fait, la plupart du temps, des ennemis, ont pour vocation de vous “mettre des bâtons dans les roues”. Figures rivales, elles représentent le tiers indispensable entre le joueur et le jeu vidéo.