Place au jeu
Éditorial

Place au jeu

Mais où est donc passé Winnicott ? Je le cherche en vain dans les débats de notre temps. La place est occupée par le « sérieux », la pensée opératoire, le souci de l’efficace, du temps gagné, du principe de précaution, le besoin de maîtrise, de prévisions fiables et garanties., dès les premiers temps de la vie jusqu’à son terme. La peur et la violence conjuguées qui animent cet état d’esprit se cachent sous les atours d’un désir explicite de bien faire qui parait sidérer les capacités critiques de nos contemporains. La peur de la surprise, des fantasmes, de la créativité, du nouveau, de l’autre, règne. L’action remplace la réflexion. Le verbe avoir remplace progressivement le verbe être, comme l’objectivité est érigée en idéal par rapport à la subjectivité dont il faudrait se méfier.

Les effets en sont à présent visibles dans les cours de récréation, comme dans les institutions de soins -pour ne citer qu’elles- où prévalent les règlements de comptes et la comptabilité. Les professionnels des soins sont sommés de produire toujours plus de procédures, protocoles, comptes-rendus et se voient en même temps reprocher de ne pas « produire » suffisamment d’ « actes de soins » !

Alors, redevenons les avocats du jeu ; ne confondons pas les jouets (y compris les plus modernes) avec le verbe jouer, recréons des espaces intermédiaires, perdons du temps avec les autres pour en gagner, faisons l’éloge de la rêverie, de l’ennui et de la ré-création ; accréditons et certifions que l’humain y gagnera à court, moyen et long terme. Redonnons ses quartiers de noblesse à la recherche, la curiosité, la poésie. Ne soyons pas là où on nous attend. Retrouvons le plaisir d’être dé-concertés. Place au jeu ! C’est une affaire sérieuse.