Paula Modersohn-Becker – L’intensité d’un regard
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Paula Modersohn-Becker – L’intensité d’un regard

Musée d’Art moderne de la ville, Paris. Jusqu'au 21 août 2016.

Quel dommage qu’elle soit morte à l’âge de 31 ans ! Quel dommage qu’elle ait manqué de quelques années Kandinsky, Kupka, Klee, Beckmann, Kirchner, qui auraient reconnu son œuvre à sa juste valeur. Ses derniers mots, en mourant en 1907 d’une embolie pulmonaire, 18 jours après la naissance de sa fille, auraient été Schade ! (Dommage !). En découvrant Cézanne, elle avait été « frappée tel un orage et un grand événement », décidant que c’est ainsi qu’elle voulait peindre. Elle a été très inspirée par Gauguin, qu’on retrouve dans ses dernières toiles. Mais il lui a manqué le temps de développer son œuvre, de dépasser ces influences et de s’inscrire dans l’art de la première moitié du xxème siècle, où elle aurait eu sa place.

Cette artiste allemande (1876-1907) quasiment inconnue en France, faisait partie de la communauté artistique de Worpswede, dans le nord de l’Allemagne, où elle épousa le peintre Otto Modersohn. Mais de son vivant, elle a rencontré désapprobation et rejet. Paradoxalement, le fait qu’elle ait été classée par les Nazis dans l’Art dégénéré, montre bien, après coup, que ses œuvres étaient résolument modernes, à l’encontre de la peinture académique.

Ses thèmes sont ceux d’une femme de son époque, portraits, paysages, et surtout beaucoup d’enfants et de femmes. Mais ses nombreux portraits d’enfants, surtout des fillettes, sont très différents des portraits habituels d'enfants du xixe siècle.  Il y a aussi de très beaux tableaux de femmes, des mères avec des nourrissons, qu’elle traite avec une esthétique personnelle en avance sur son temps. Dans un mouvement créateur intense, pendant les dernières années de sa courte vie, elle réalise une série d’auto-portraits. Là encore elle innove, car elle est la première dans l’histoire de la peinture à réaliser un autoportrait où elle se montre nue et même enceinte.

Elle était liée à Rainer Maria Rilke, tout au long de sa vie, par une forte amitié artistique. Amoureuse ? Elle semble avoir joué un jeu de séduction avec Rilke, qui, apprenant qu’elle était fiancée avec Otto Mendelsohn sans le lui avoir dit, s’est marié aussitôt avec sa meilleure amie, la sculptrice Clara Westhoff. Leur relation très complexe a connu ensuite des hauts et des bas.

Se sentant à l’étroit dans le milieu de Worpswede, qui ne comprenait pas la nouveauté de son art, Paula Modersohn-Becker partait faire de fréquents séjours à Paris, ville qu’elle adorait, où elle rencontrait les artistes des avant-gardes, comme Rodin, Cézanne, Gauguin, Le Douanier Rousseau, Picasso, Matisse.

Elle s’est éloignée de sa famille qui la soutenait, en tout cas financièrement, mais lui conseillait aussi de trouver une place de gouvernante ou de jeune fille au pair. On lui avait arrangé un séjour à Berlin pour suivre des cours de cuisine avant de se marier, mais avec l’énergie et l’obstination qui la caractérisaient, elle réussit à s’inscrire dans des cours de dessin, au moment où les femmes n’avaient pas encore accès aux académies des beaux-arts à l’époque.

Son mari, Otto Modersohn l’encourageait dans son art, mais ne comprenait pas non plus son esthétique innovante. Elle rend tout « grossier, hideux, bizarre, lourd », écrit-il. «  Des mains comme des cuillères, des nez comme des massues, des bouches comme des plaies ouvertes, des expressions de crétins (…) Et il est difficile de vouloir la conseiller, comme souvent. ».

Elle a voulu quitter son mari, mais est revenue face aux difficultés de la vie d’une femme seule à Paris. Après sa mort, Rilke lui a rendu hommage avec un poème, Requiem pour une amie. C’est un très beau texte, mais on ne peut s’empêcher d’y lire une certaine ambivalence à l’égard de cette femme intensément engagée dans sa création artistique, qui n’a pas voulu devenir sa maîtresse, et qui s’insérait dans les mouvements modernes de la peinture. Il n’a reconnu son talent que peu avant sa mort. Auparavant, dans la monographie qu'il a consacré aux peintres de Worpswede, il ne la mentionne même pas. Quand il la présente à Rodin, c’est comme « l’épouse d’un peintre distingué ». En réalité, l'histoire de l'art donnera à son travail une portée bien plus grande qu'à celui de son mari, même si celui-ci vendait bien ses tableaux alors que Paula, au cours de sa vie, semble n'avoir vendu que trois toiles…

Simone Korff-Sausse
Psychanalyste, SPP