Puisque les musées restent fermés, que les galeries proposent des expositions qui ne durent que quelques semaines (le temps d’en parler dans Carnet Psy et elles sont déjà terminées), et que les confinements et couvre-feux nous rendent immobiles, privés d’événements et d’images, dans une grande pauvreté perceptive, il faut se déplacer quand même afin de découvrir quelques nouveaux horizons artistiques.
Cette vidéo nous promène à New York, en compagnie d’une artiste afro-américaine contemporaine, qui présente une de ses œuvres récentes, Light of Freedom, installée dans un square new yorkais. Abigail DeVille, née en 1981 à New York, a créé de très grandes installations sculpturales, réalisées avec des matériaux récupérés, qu’elle va chercher dans des décharges, et transporte sur de lourds chariots.
Elle commence par déclamer quelques très belles phrases de Frederick Douglass, ancien esclave, devenu un homme politique important. Il parle, en 1854, des hommes qui ne prennent pas de risque :
“They want the ocean without the awful roar of its many waters” : « Ils veulent l’océan sans les rugissements effrayants de ses eaux multiples ».
Abigail DeVille, elle, plonge dans ces « roaring waters », se laissant inspirer par ces « mots puissants ».
La vidéo est en anglais, mais le texte est inscrit sur l’écran, ce qui devrait faciliter la compréhension. Et il faut l’écouter et l’entendre commenter son œuvre dans sa langue, car sa voix aussi, un mélange de nostalgie et d’espérance, fait partie de la poésie de cette vidéo.
Elle est revêtue d’accoutrements étranges, théâtraux, voyants, des perruques et des chapeaux, des bijoux extravagants qui signifient la singularité et l’originalité de tout artiste. Ainsi elle fait de son corps, comme beaucoup d’artistes contemporains, le support de l’expression artistique.
On la voit sur un échafaudage accrocher des bras de mannequins bleus pour installer Light of Freedom. Ces bras sont insérés dans une structure qui dessine la forme de la torche de la Statue de la Liberté, dont ils représentent les flammes, et dans laquelle l’artiste a inséré aussi des cloches, autre symbole de liberté, mais elles aussi captives de leur structure.
Elle évoque sa rencontre avec le fameux discours de Martin Luther King, I Had a Dream, que sa maîtresse d’école faisait découvrir à ses élèves, et que Abigail DeVille a écouté comme une révélation, en serrant la main de sa petite camarade sous la table, tellement elle était émue.
Ses œuvres tentaculaires débordent des lieux d’exposition, elles ont besoin d’espaces ouverts, elles s’inscrivent dans l’espace urbain. Au-delà des références multiples au contexte historique, elles ont une dimension à la fois cosmologique et archéologique. Abigail DeVille a été exposée une fois à Paris, dans la galerie Michel Rein, en 2013, avec une série intitulée Invisible Men : Beyond the Veil, qui retraçait l’histoire d’une famille américaine à travers des objets récupérés, des peintures et des collages.
Cette vidéo est une très belle manière d’évoquer ce qu’est l’art. De créer un réseau d’associations autour d’une œuvre. De parler de la culture, qui nous manque cruellement avec la crise sanitaire. Mais ce manque justement en révèle l’importance. Et on voit des queues se former aux portes des galeries, où se pressent des spectateurs, privés de musées.
Son œuvre concerne des thèmes de l’histoire américaine, comme le Black Lives Matter, mais ils débordent ce contexte sociopolitique particulier, et abordent les préoccupations des artistes contemporains dans le monde entier, la femme, l’esclavage, les Noirs, la pandémie, l’oppression et la liberté.
La promenade se termine avec, en fond de paysage, la Statue de la Liberté.